Iran/Israël/Territoires palestiniens - Entretien de Christophe Lemoine, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec "France 24" (Paris, 16 juin 2025)
Q - "Christophe Lemoine, porte-parole du Quai d’Orsay, merci beaucoup d’être avec nous ce soir. Quatrième jour de guerre entre Israël et l’Iran. Cet affrontement direct, comment le qualifiez-vous ? C’est une guerre ?
R - Oui, c’est un affrontement direct, mais c’est surtout une escalade extrêmement dangereuse. Il y a en ce moment des échanges de missiles entre l’Iran et Israël, qui constituent une escalade extrêmement dangereuse pour l’ensemble de la région.
Q - Quand vous voyez justement cette explosion de la télévision d’Etat en Iran, que veut Netanyahou selon vous ? Détruire la capacité nucléaire de l’Iran ou faire tomber le régime iranien ?
R - Benyamin Netanyahou a lancé des frappes vendredi contre l’Iran, qui demeure malgré tout un acteur déstabilisateur de la région. L’Iran mène un programme nucléaire qui suscite l’inquiétude de beaucoup, à commencer par la France. Nous avons régulièrement condamné le développement par le régime iranien de capacités nucléaires. Nous avons toujours appelé à une résolution par le dialogue et par la diplomatie. L’Iran continue à franchir des seuils et c’est extrêmement inquiétant.
Q - En fait, c’est ce que dit Netanyahou : c’est ça qui a provoqué cette attaque d’Israël, le fait que l’Iran était très proche de la construction d’une bombe nucléaire. C’était aussi votre constat. L’AIEA [Agence internationale de l’énergie atomique], en tout cas, avait dit que l’Iran ne respectait pas ses obligations.
R - L’Iran ne respectait pas ses obligations, notamment en termes de seuil d’enrichissement, puisqu’ils avaient annoncé il y a quelques semaines un nouveau seuil d’enrichissement, que nous avions condamné. Encore une fois, ce que la France a fait depuis le début, c’est d’appeler à une solution négociée. S’agissant du nucléaire iranien, il y a une date limite, au mois d’octobre, qui est la date limite de la résolution 2231. Il faut absolument que nous retrouvions un accord avec les Iraniens avant cette date. Donc le temps presse. Il y a des négociations entre les Européens et l’Iran.
Q - En ce moment ? J’imagine qu’elles n’ont pas lieu en ce moment ?
R - Elles ont eu lieu jusqu’à récemment. Les Etats-Unis ont aussi ouvert un canal de négociations directes avec l’Iran, ce qui était plutôt un pas dans le dans le bon sens. Mais malgré cela, l’Iran a du mal à se conformer à ses obligations.
Q - Jusqu’où peut aller Benyamin Netanyahou ? Est-ce qu’en fait, ce qu’il souhaite, c’est un changement de régime ?
R - Je ne sais pas. En tout cas, ce qui est clair, c’est que - et c’est ce que le Président de la République a redit hier - il y a un appel de notre part à cesser les hostilités, puisqu’encore une fois, on est dans une situation escalatoire extrêmement dramatique, qui peut aller très loin. Il est très important, dans un premier temps, d’arrêter l’ensemble des bombardements et de retrouver la voie de la négociation. C’est vraiment la première des obligations maintenant pour éviter le pire.
Q - Est-ce que la France pourrait participer à la défense d’Israël, dans ce conflit ?
R - La France l’avait déjà fait lors des précédentes attaques de l’Iran sur Israël. Là, le gouvernement israélien a lancé des attaques. Nous n’y avons pas participé, mais nous avons redit notre disponibilité à aider Israël à se défendre. Mais encore une fois, le but ultime, c’est quand même de stopper l’ensemble de ces opérations, qui sont très coûteuses en vies humaines pour Israël et pour l’Iran, et de retrouver le chemin d’une solution négociée.
Q - La France a été sollicitée par Israël pour, justement, participer à sa défense ?
R - Encore une fois, ils ont lancé cette opération et c’est leur décision. C’est la décision du Premier ministre israélien.
Q -Cela a été une surprise aussi pour vous, pour la France ?
R - On a vu ça vendredi matin. On en a pris acte. Maintenant, encore une fois, la sécurité d’Israël est importante. La stabilité de la région est extrêmement importante. C’est la raison pour laquelle il faut absolument enclencher une désescalade et un arrêt des opérations, qui pourraient être dramatique.
Q - Il y a le G7 en ce moment, qui s’est ouvert au Canada. Donald Trump a pris la parole, il vient de prendre la parole. La première chose qu’il a dite, c’est qu’il regrettait que Poutine - donc que la Russie - ne participe pas au G7, soit exclue du G7. Il souhaite que Poutine soit un négociateur, justement, puisque vous parliez de négociation. Qu’en pensez-vous ?
R - Je pense que c’est assez clair. Il faut se souvenir de la raison pour laquelle la Russie est sortie du G8 à l’époque. C’était suite à l’invasion de la Crimée en 2014. L’attitude de la Russie n’a pas changé, donc il n’y a aucune raison qu’il réintègre le groupe du G7 de cette manière-là. Et puis, d’une manière plus générale, sur une éventuelle posture de négociation de la Russie, le conflit en Ukraine nous montre que la Russie ne respecte pas le droit international, n’honore pas ses engagements. Donc on voit mal comment elle pourrait être médiatrice de quoi que ce soit.
Q - Est-ce que ça compromet - cette différence de position de Trump sur la Russie et le reste des membres du G7 - un communiqué commun, justement, dans le cadre de ce conflit, au G7 ?
R - Le sommet est en train de débuter, il est en cours, il va durer encore un peu. Donc nous verrons quels seront les résultats à l’arrivée. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura certainement des discussions extrêmement importantes, extrêmement productives, notamment sur la situation d’affrontement entre Israël et l’Iran. Mais pas seulement, parce que je pense qu’il y aura aussi des discussions autour de l’Ukraine et autour des gros sujets internationaux importants : la guerre commerciale, le relèvement des droits de douane… Les G7 sont toujours à un moment important pour pouvoir discuter entre chefs d’Etat de sujets d’une manière assez directe.
Q - En tout cas, pour la France, pas question que Poutine soit médiateur dans ce conflit entre Israël et l’Iran ?
R - Non, pas vraiment.
(…)
Q - Est-ce que cette guerre est un "game changer" pour le Moyen-Orient ? C’est-à-dire, va-t-elle remodeler le Moyen-Orient, comme le souhaite finalement Netanyahou ?
R - Je ne sais pas si c’est un game changer. Il est certainement trop tôt pour le dire. Mais en tout cas, ce qui est certain, c’est que les opérations mutuelles israéliennes et iraniennes depuis vendredi font considérablement monter la tension dans une région qui est déjà en proie à beaucoup d’instabilité, parce qu’effectivement, il y a toujours des situations qui existent. On peut reparler de Gaza, notamment, qui est un premier point qui doit rester sur la table. Il y a toujours des questions avec la transition démocratique en Syrie. Il y a toujours des questions avec le Liban. C’est une région qui est porteuse de risques assez forts, et il ne faudrait pas qu’une déstabilisation enflamme l’ensemble de la région.
Q - Justement, lorsque Netanyahou dit qu’il veut faire tomber le régime en Iran, quelle est votre réaction ? C’est-à-dire, c’est un but politique souhaitable ou est-ce qu’au contraire, ça entraînera une déstabilisation encore plus grande de la région ?
R - Pour le moment, ce qui est certain, c’est que l’escalade qu’on est en train de constater est porteuse potentiellement de risques extrêmement forts pour l’ensemble de la région - pas simplement pour l’Iran, pas simplement pour Israël. Evidemment, potentiellement, ça peut remodeler. La difficulté, c’est que c’est très difficile de savoir dans quelle direction. Et c’est la raison pour laquelle, encore une fois, il y a eu un appel lancé par le Président de la République à une désescalade et un arrêt total des opérations. Ce sont des opérations qui sont extrêmement dangereuses, qui se tiennent dans un contexte extrêmement inflammable.
Q -C’est l’histoire, finalement, du Moyen-Orient, qui a montré que ce n’était pas si simple, qu’un changement de régime ne venait pas forcément de l’extérieur ? Si on prend l’Irak…
R - Oui, je comprends. L’urgence, pour le moment, c’est quand même d’obtenir un arrêt des opérations et un retour à la table des négociations.
Q - Que veut Trump, à votre avis ? Est-ce qu’il veut reprendre les négociations avec l’Iran ou est-ce qu’au contraire il veut prêter main forte à Israël pour détruire les sites nucléaires iraniens ?
R - Je pense que Donald Trump a pris l’initiative de rouvrir un dialogue direct avec les Iraniens sur la question du nucléaire iranien. C’est une initiative que nous avions saluée. Encore une fois, tout ce qui va dans le sens d’une solution négociée est effectivement une bonne solution. Il l’a redit aujourd’hui à son arrivée au Canada, en disant que les Iraniens devaient continuer à négocier sur la question du nucléaire iranien. C’est effectivement une bonne posture.
Q - Selon le "Wall Street Journal", l’Iran souhaite discuter avec les Etats-Unis et Israël d’un arrêt des hostilités - je cite le journal américain - et adresse des messages en ce sens via des intermédiaires arabes. Important, peut-être, le rôle des pays arabes ou des pays du Golfe, en particulier ?
R - Probablement. Ce sont des acteurs dorénavant très impliqués dans la gestion de la situation régionale. Ils sont très impliqués en termes diplomatiques. On le voit sur différents dossiers. L’Arabie saoudite devait par exemple coprésider cette conférence sur les deux Etats aux Nations unies avec la France et la coprésidera quand elle aura lieu. Le Qatar, les Emirats arabes unis sont devenus des acteurs extrêmement importants de la région, oui.
Q - Justement, un mot sur cette conférence qui devait démarrer demain à New York. Emmanuel Macron, MBS [Mohammed bin Salman], le prince héritier saoudien… Tout est reporté. Il y a une nouvelle date ? Comment ça se passe ?
R - Nous avons été contraint de la reporter, puisque c’est très difficile de tenir une conférence sur une solution à deux Etats sans Autorité palestinienne. Or, le président Abbas était coincé avec la suspension des vols. Donc ce n’était pas possible.
Q - C’est l’unique raison ?
R - Les circonstances n’étaient pas vraiment réunies. C’est-à-dire que c’est difficile de parler de manière sereine d’une solution à deux Etats quand la situation connaît une telle escalade. Donc il a été décidé de reporter cette conférence. Elle se tiendra…
Q - Il y a une date ?
R - C’est une conférence qui est organisée par les Nations unies, donc c’est aux Nations unies de dire quand elle pourra se tenir à nouveau.
Q - Mais vous souhaitez qu’elle se tienne vite ?
R - C’est une conférence qui est l’issue du vote d’une résolution à l’Assemblée générale des Nations unies en novembre dernier. C’est un point important. Encore une fois, s’agissant de Gaza, il n’y a qu’une solution politique, donc il faut commencer à parler de solutions politiques. Cette conférence est une excellente occasion pour enclencher, justement, ce dialogue et il faut qu’elle se tienne.
Q - Avec justement cette guerre entre l’Iran et Israël, est-ce que c’est le moment pour Emmanuel Macron de reconnaître un Etat palestinien, comme il avait peut-être l’intention de le faire lors de cette conférence ?
R - Il a toujours dit qu’il n’y avait pas de tabou sur la reconnaissance d’un Etat palestinien. Simplement, il faudrait que cette reconnaissance intervienne au moment opportun et que cela puisse être utile pour que, justement, cette solution à deux Etats puisse être mise en oeuvre. Donc, bien évidemment, c’est une question qui se posera au moment où la conférence reviendra.
Q - Vous êtes inquiet aujourd’hui, ce soir, de ce qui se passe ?
R - Oui, la situation est très inquiétante. Quand on voit les images de Tel Aviv bombardées, quand on voit les images de Téhéran, c’est très inquiétant. Encore une fois, on est dans une logique d’escalade, et comme toute escalade, on sait que ça peut échapper aux mains des uns et des autres. C’est pour ça qu’il est très important de mettre fin à l’ensemble de ces opérations et de retrouver le chemin de la négociation.
Q - Merci. Christophe Lemoine, d’avoir été avec nous ce soir, d’avoir réagi à chaud à cette guerre entre Israël et l’Iran.
R -Merci beaucoup."