Entretien de Pascal Confavreux, porte-parole du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, avec « France Info » (Paris, 2 décembre 2025)

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Q - À quelques heures des discussions entre la délégation américaine et Vladimir Poutine, j’accueille le porte-parole du ministère des affaires étrangères. Pascal Confavreux, bonjour.

R - Bonjour.

Q - Et en direct de Moscou, Sylvain Tronchet, bonjour.

Q - Bonjour Jérôme.

(…)

Q - Sylvain, on va vous retrouver dans un instant. Pascal Confavreux, porte-parole du Quai d’Orsay. Est-ce que la France confirme, ce matin, la prise par les Russes de cette ville de Pokrovsk ?

R - On verra. Ce qu’on peut quand même dire, c’est que depuis novembre 2022 et la stabilisation du front, la Russie a avancé de 0,7% du territoire ukrainien. Donc il y a un effet d’optique, où on voit à chaque fois des avancées petites sur le terrain, mais quand on dézoome un peu et dans le contexte, c’est ça qu’il faut avoir.

Q - Mais vous ne confirmez pas la perte de cette ville ?

R - Je ne peux pas vous dire à ce stade, non, ce qu’il en est sur ce terrain. Mais ce que je peux aussi vous dire, c’est que sur la partie négociations de paix, ce dont on a besoin à court terme, c’est d’avoir un cessez-le-feu inconditionnel immédiat. Et on voit bien que les Russes n’y sont pas du tout, puisqu’ils continuent encore à taper les villes à l’arrière. Il y a eu encore quatre morts à Dnipro, il y a une nuit. Il y avait quatre ou cinq morts encore à Kiev, dans la nuit du 24 au 25 novembre.

Q - Ça veut dire qu’ils y trouvent trouve un intérêt ? Ça veut dire que l’Ukraine est peut-être en train de perdre la guerre ?

R - Ça veut dire surtout que quand on dit qu’il y a des négociations de paix, il faut que chacun joue son rôle. L’Ukraine, depuis le printemps dernier, a dit qu’elle était prête à un cessez-le-feu inconditionnel. La Russie, on le voit, continue à marteler systématiquement et à envoyer drones, missiles sur les villes à l’arrière, sur les infrastructures énergétiques, sur les infrastructures aussi civiles.

Q - Mais l’Ukraine recule aujourd’hui militairement.

R - L’Ukraine, elle tient bon. Je vous redisais : 0,7% du territoire. Rappelez-vous, quand même, en février 2022, on se disait, « l’Ukraine ne va pas tenir trois semaines face à cette immense armée russe » qui devait venir. Elle tient parce qu’il y a un formidable courage des Ukrainiens et de l’armée ukrainienne. Elle tient aussi parce qu’il y a un formidable soutien des Européens et aussi des Américains. Soutien à l’économie ukrainienne et à l’armée ukrainienne, et aussi pression sur l’économie russe.

Q - Alors on va justement parler, puisqu’on a maintenant ce contexte dans lequel se tiennent aujourd’hui ces discussions, entre notamment Steve Witkoff, l’émissaire de Donald Trump, et Vladimir Poutine. (…) Pascal Confavreux, porte-parole du ministère des affaires étrangères. Donald Trump et Emmanuel Macron se sont parlé hier soir. Est-ce que la France a exprimé des lignes rouges ?

R - Depuis la présentation du plan en 28 points, il y a deux principes que nous suivons : rien sur l’Ukraine sans l’Ukraine ; rien sur les Européens sans les Européens. Et nous avons obtenu des choses depuis, notamment, les discussions de Genève sur le plan en 28 points ou après la réunion de la Coalition des volontaires de mardi dernier. C’est que les sujets européens sont désormais retranchés de ces discussions et ensuite qu’au niveau politique, au niveau de Marco Rubio, lors de la réunion de la Coalition des volontaires, les Américains se sont engagés à discuter avec nous de manière précise sur à quoi ressembleraient ces garanties de sécurité.

Q - Alors il y a les garanties de sécurité, ça c’est pour l’Europe, mais pour l’Ukraine, jusqu’à présent, la position de la France et des Européens, c’était « il n’est pas question d’accepter les conquêtes militaires de la Russie ». Est-ce qu’on comprend que de ce point de vue-là, la France a évolué ?

R - C’est aux Ukrainiens de dire ce qu’ils voudront faire ou pas de leur territoire.

Q - Les Ukrainiens d’ailleurs, hier à votre place, on recevait l’entrepreneur et soldat ukrainien Dmitry Kouchnir, écoutez ce qu’il disait.

[Extrait de déclaration de Dmitry Kouchnir]

Est-ce que c’est de cela dont il s’agit, Pascal Confavreux, aujourd’hui ? D’une capitulation de l’Ukraine, comme le disaient aussi tout à l’heure d’autres soldats ukrainiens à Kiev ?

R - C’est le piège à éviter, et nous faisons tout, évidemment, pour que ce ne soit pas le cas. Je vous l’ai dit, il y a ce plan en 28 points, sur lequel nous avons fait de considérables avancées ; et puis par ailleurs, il y a un soutien qui est fort au niveau européen, avec le projet de préparation d’un plan qu’on appelle « Reparation Loan », qu’on essaiera d’adopter au Conseil européen…

Q - Et qui consiste en quoi ?

R - C’est environ 140 à 150 milliards d’euros, c’est très considérable. Cela devrait couvrir les besoins ukrainiens pour les deux ou trois années qui viennent, et qui seraient assis notamment sur ce qu’on appelle les avoirs gelés russes en Europe.

Q - Et ça, il en a été question hier soir, entre Donald Trump et le président Macron ?

R - Ça, c’est au niveau européen. Ce sont les Européens qui décident de ça.

Q - Je vous pose la question parce qu’il y a quelques jours, les Américains étaient en train de dire « Ok pour que vous payiez, mais vous n’avez pas le droit de regard, vous, les Européens, sur les négociations. »

R - Les avoirs gelés russes, en Europe, c’est une compétence qui est purement européenne. C’est très clair. Donc là, notre priorité, c’est de s’assurer qu’ils sont bien mobilisés et qu’ils serviront pour ça. Et puis, la deuxième priorité, c’est qu’on trouve une base juridique, notamment avec les Belges sur ce sujet, parce que ces avoirs sont en partie détenus sur le territoire belge.

Q - On l’a entendu dans ce que nous disait Sylvain Tronchet, notre correspondant à Moscou il y a un instant. Steve Witkoff. Personnalité controversée, ces derniers jours, notamment, ami personnel de Donald Trump, lui-même promoteur immobilier. Est-il un émissaire neutre ?

R - Ce n’est pas à nous de choisir qui le président américain choisit pour ses négociations. Nous, nous sommes dans le soutien à l’initiative de médiation des Américains parce qu’elle va dans le bon sens, elle va dans le sens de la paix.

Q - Pascal Confavreux, vous êtes diplomate, parole du Quai d’Orsay. Le cadre classique de la diplomatie, il a explosé, là.

R - Ce n’est pas nous qui choisissons pour les décisions des pays avec lesquels nous sommes en contact. Le président Trump, sur ce sujet, il a eu différents émissaires. Il y en a eu d’ailleurs un autre au départ, c’est maintenant Steve Witkoff sur ce sujet. Nous, nous avançons avec les émissaires qui sont désignés.

Q - Mais est-ce que ça aide ou est-ce que ça parasite les discussions, ce type de personnalité ?

R - L’effort américain, il va dans le bon sens pour nous, parce qu’ils veulent aller vers la paix, et nous aussi. En fait, on veut leur montrer, et c’est ce qu’on leur dit très clairement… Quand le président français, qui échange avec le président ukrainien, qui ensuite appelle le président américain, qui appelle le Premier ministre anglais, qui appelle le chancelier allemand pour les débriefer de tout ça, c’est pour montrer qu’on se coordonne ensemble. Toutes ces personnes veulent aller vers la paix. Ceux qui ne veulent pas aller vers la paix, c’est très clairement les Russes.

Q - Vous nous dites en tout cas ce matin, Pascal Confavreux, qu’il n’est pas question que les États-Unis ignorent l’Europe dans ces discussions. Parce qu’on a eu un peu ce sentiment quand même la semaine dernière.

R - Ce n’est pas la question ; surtout, ce n’est pas possible, quand vous avez une des parties qui doivent agir sur les avoirs gelés russes ou les garanties de sécurité. Les garanties de sécurité, ce sont très largement les Européens avec la Coalition des volontaires.

Q - Mais je vous pose la question parce que, encore une fois, la question est de savoir si les Américains ne vont pas privilégier leurs intérêts, voire les intérêts de Donald Trump et de son entourage, parce qu’il est question d’argent dans cette affaire, au dépend des intérêts européens.

R - Mais c’est très normal que les Américains défendent leurs intérêts ; c’est aussi très normal que les Européens défendent les leurs.

Q - Merci beaucoup, Pascal Confavreux, porte-parole du ministère des affaires étrangères, invité de France Info ce matin. Et merci également à Sylvain Tronchet qui était en direct de Moscou.

(Source : France Info)