La lutte contre l’impunité, l’une des conditions pour une paix durable en Syrie

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Au cours de plus de dix années de guerre, le peuple syrien a été victime de violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire à grande échelle. Certaines de ces violations sont constitutives de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre. Le régime de Bachar Al-Assad et Daech portent la responsabilité de la plupart de ces atrocités.

La France est engagée pour que les crimes commis en Syrie ne restent pas impunis. Les victimes de ces violences en Syrie sont en quête de justice, pour que leur pays puisse se reconstruire socialement et politiquement. La France soutient la société civile et les mécanismes mis en place pour que les auteurs de ces violations soient traduits en justice. La chute de Bachar Al-Assad en décembre 2024 ouvre de nouvelles possibilités en matière de lutte contre l’impunité en Syrie.

Les institutions onusiennes mobilisées pour la lutte contre l’impunité en Syrie

La France soutient les mécanismes des Nations Unies chargés de la lutte contre l’impunité en Syrie. Le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a rappelé cet engagement lors de sa visite à Damas le 3 décembre 2024.

La Commission d’Enquête internationale et indépendante sur la République arabe syrienne

Parfois surnommée « Commission Pinheiro », du nom de son président, Paulo Sergio Pinheiro, la Commission d’enquête internationale est mandatée pour documenter les crimes commis en Syrie quels que soient leurs auteurs. Elle a été créée par une résolution du Conseil des droits de l’Homme (CDH), en août 2011, au début du soulèvement. Son mandat a été reconduit par une résolution présentée chaque année par un groupe de pays dont la France.

Le régime de Bachar Al-Assad lui refusant l’accès au territoire syrien, la Commission a été contrainte depuis sa création de mener ses enquêtes et entretiens avec les victimes à l’étranger, notamment depuis les pays limitrophes.

En décembre 2024 et janvier 2025, deux équipes de la Commission ont été autorisées par les autorités de transition à se rendre en Syrie. Elles ont visité des fosses communes et d’anciens centres de détention de l’État dans la région de Damas, la prison militaire de Sednaya, la branche 235 du renseignement militaire (« Palestine ») et les branches du renseignement de l’armée de l’air à Mezzeh et Harasta.

La Commission a publié en janvier 2025 un rapport intitulé « la Toile d’agonie ». Il s’appuie sur plus de 2 000 témoignages, dont plus de 550 entretiens avec des survivants de la torture.

Le Mécanisme International, Impartial et Indépendant (MIII)

Le « Mécanisme international, impartial et indépendant » (MIIII) est chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en République arabe syrienne depuis mars 2011 et d’aider à juger les personnes qui en sont responsables ». Il a été créé en 2016 par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies (AGNU) que la France a coparrainée.
Le Mécanisme a pour mission de collecter les preuves des violations du droit international les plus graves commises en Syrie. Ces preuves sont rassemblées afin de servir dans des procédures judiciaires nationales, régionales ou internationales. Il s’agit, selon les termes de la résolution, de « recueillir, regrouper, préserver et analyser les éléments de preuve attestant de violations du droit international humanitaire, de violations du droit des droits de l’Homme et d’atteintes à ce droit ». A la date du 24 avril 2024, le Mécanisme avait reçu 367 demandes émanant de 16 juridictions concernant 271 enquêtes distinctes sur des crimes internationaux commis en Syrie.
Jusqu’à la chute du régime de Bachar Al-Assad, le travail du MIII reposait exclusivement sur des preuves obtenues auprès ou dans les États tiers ainsi que par un réseau d’ONG syriennes. Lors d’une visite à Damas les 21 et 22 décembre 2024, le MIII a sollicité un accès pérenne au territoire syrien, avec l’ouverture d’un bureau à Damas. Cela lui permettrait d’obtenir des preuves de sources diverses sur le territoire même de la Syrie.

Pour en savoir plus :

Le site du Mécanisme

L’Institution indépendante pour les personnes disparues (IIMP)

L’Institution indépendante pour les personnes disparues (IIMP), créée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 29 juin 2023, basée à Genève, a pour mandat de permettre aux familles des victimes, y compris des victimes de disparitions forcées, de connaître le sort de leurs proches.

La Sous-Secrétaire générale qui conduira l’IIMP, Mme Karla Quintana, a été désignée le 19 décembre 2024.

Pour en savoir plus :

Le site de l’institution

Pourquoi la Cour pénale internationale n’est-elle pas saisie de la situation en Syrie ?

La Syrie n’est pas partie au Statut de Rome qui établit la Cour pénale internationale (CPI). En conséquence, seule une saisine par le Conseil de sécurité des Nations Unies aurait pu permettre à la Cour pénale internationale d’être compétente pour juger les crimes internationaux commis sur le territoire syrien. La France a proposé en 2014 une résolution du Conseil sur la Syrie pour déférer la situation en Syrie à la Cour, ce qui n’a pas abouti. Une ratification du Statut de Rome par la Syrie, assortie d’une déclaration rendant la CPI rétroactivement compétente, pourrait permettre à la CPI de juger des crimes commis sur le territoire syrien depuis le début de la guerre.

Les poursuites engagées devant les juridictions françaises

Les juridictions nationales contribuent à la lutte contre l’impunité, en vertu de la compétence quasi-universelle dont elles disposent pour les crimes internationaux les plus graves. Dès 2012, la France s’est donnée les moyens de poursuivre les auteurs de ces crimes en créant, au sein du tribunal judiciaire de Paris, un pôle spécialisé chargé de la lutte contre les crimes contre l’humanité, crimes et délits de guerre. Ce pôle est aujourd’hui intégré à une juridiction spécialisée, le Parquet national antiterroriste. Vingt-quatre procédures judiciaires sont en cours en France concernant des crimes imputés à l’ex-régime syrien, certaines initiées par le Parquet national antiterroriste.

En septembre 2015, le ministre des affaires étrangères a saisi le procureur de la République, ce qui a permis au parquet de Paris d’ouvrir une enquête préliminaire pour « crimes contre l’humanité » contre l’ex-régime syrien. Cette enquête s’appuie en particulier sur les dizaines de milliers de photos de dépouilles prises dans des hôpitaux militaires entre 2011 et 2013 par « César », un ex-photographe militaire syrien.

En 2023, un premier mandat a été émis à l’encontre de Bachar Al-Assad par les juridictions françaises pour les attaques chimiques imputées à son régime le 5 août à Adra et Douma et le 21 août 2013 dans la Ghouta orientale.

En 2024, les juges du pôle crimes contre l’humanité du tribunal judiciaire de Paris ont émis un second mandat d’arrêt à l’encontre de Bachar Al-Assad pour complicité de crime de guerre émis par deux juges françaises, pour le bombardement en 2017 d’une zone peuplée de civils dans le sud-ouest de la Syrie, imputé à l’ex-régime syrien. Six hauts dignitaires de l’armée syrienne sont déjà visés par des mandats d’arrêt pour complicité de crimes de guerre dans le cadre de cette information judiciaire ouverte en 2018.

Trois anciens hauts responsables syriens, Ali Mamlouk, Jamil Hassan et Abdel Salam Mahmoud, ont été condamnés par défaut à la réclusion criminelle à perpétuité en France pour complicité de crimes contre l’humanité et délit de guerre. Ce procès est le premier en France à juger des membres de haut rang de l’ex-régime syrien pour leurs exactions durant la guerre civile.

En Allemagne, les tribunaux se sont également saisis de cette priorité. En février 2021, le Tribunal de Coblence a ainsi condamné un ancien membre des services secrets syriens à une peine de 4 ans et demi de prison pour crimes contre l’humanité. Il s’agit de la première décision de ce type.

L’utilisation d’armes chimiques

L’emploi d’armes chimiques à plusieurs reprises depuis 2012 est l’un des aspects les plus tragiques des violations commises à l’encontre du peuple syrien. Il s’agit, dans l’immense majorité des cas, d’actes commis par l’ex-régime contre sa population, Daech a également été identifié comme auteur d’une attaque chimique. Différents mécanismes internationaux successifs ont permis de mettre en lumière la réalité de l’emploi de ces armes interdites et d’identifier des responsables.

Outre ses actions en soutien aux différents mécanismes internationaux sur ce sujet, la France a mobilisé le Conseil de sécurité contre l’utilisation d’armes chimiques en Syrie.

L’action de la France aux côtés de l’OIAC

Le 8 avril 2020, l’équipe d’investigation et d’identification (Investigation and Identification Team ou IIT) de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) a identifié sur la base d’une enquête indépendante, impartiale, robuste et rigoureuse que des unités de l’armée de l’air de l’ex-régime syrien étaient responsables d’attaques à l’arme chimique à Latamné (24, 25 et 30 mars 2017). Ces investigations ont été ralenties par le refus systématique de l’ex-régime syrien de fournir des informations et de donner accès à son territoire aux équipes d’enquêteurs.

En juillet 2020, en réaction aux conclusions de ce rapport de l’IIT, le Conseil exécutif de l’OIAC a adopté une décision portée par la France au nom de 40 délégations intitulée « Contrer la détention et l’emploi d’armes chimiques par la République arabe syrienne ». Cette décision appelait l’ex-régime syrien à se mettre en conformité avec ses obligations au titre de la Convention sur l’interdiction des armes chimiques (CIAC). Aucune réponse n’a été apportée, comme l’a confirmé le Directeur général de l’OIAC dans son rapport sur la mise en œuvre de cette décision publié en octobre 2020. La 25ème Conférence des États Parties à la CIAC s’est prononcée sur cette base.

Le 12 avril 2021, l’IIT a publié son deuxième rapport. Ce nouveau rapport, issu d’un travail indépendant et impartial, identifie les auteurs d’emplois d’armes chimiques lors d’une attaque dans la localité de Saraqib en Syrie le 4 février 2018. A cette occasion, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a rappelé dans une déclaration que, pour la France, « le recours à ces armes par le régime syrien, documenté et irréfutable, est inacceptable. Nous réitérons notre ferme condamnation de tout emploi d’armes chimiques en tout lieu, à tout moment, par quiconque et en toutes circonstances ».

Le 21 avril 2021, la 25ème Conférence des États parties à la CIAC a adopté la décision « Contrer la détention et l’emploi d’armes chimiques par la République arabe syrienne », texte présenté par la France au nom de 46 délégations. Cette décision de la Conférence, prise sur la base des recommandations du Conseil exécutif datant de juillet 2020 et de l’Article XII de la Convention, suspend le droit de vote de la Syrie et l’empêche de se porter candidate pour siéger au Conseil exécutif et dans les organes subsidiaires de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). Si elle entend rétablir ces droits, il revient désormais à la Syrie de se mettre en conformité avec ses obligations internationales au titre de la CIAC. A cette occasion, la porte-parole du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a souligné dans une déclaration qu’ « en adoptant cette décision, les États parties à la CIAC rappellent que l’emploi d’armes chimiques est inacceptable quel que soit le lieu, la période, l’auteur et quelles que soient les circonstances et que les violations répétées de la Convention ne peuvent rester impunies. Il s’agit d’un premier pas dans la lutte contre l’impunité ».

Le 27 janvier 2023, l’IIT a publié son troisième rapport, mettant en évidence la responsabilité des Forces aériennes arabes syriennes, sous le contrôle des Forces du Tigre comme les auteurs d’une attaque à l’arme chimique à Douma le 7 avril 2018, faisant 43 victimes civiles identifiées.

En conséquence, la 28ème Conférence des États parties à la CIAC a adopté une décision intitulée « Contrer la menace que constitue l’emploi d’armes chimiques et la menace d’emploi future » encourageant tous les États parties à renforcer leur coopération afin de prévenir la fabrication, l’acquisition et l’emploi d’armes chimiques par des acteurs non étatiques, y compris des groupes terroristes, et d’empêcher la fourniture, la vente ou le transfert directs ou indirects à la République arabe syrienne, des précurseurs chimiques et des installations et matériels de fabrication de produits chimiques à double usage et des technologies connexes.

Le 22 février 2024, l’IIT a publié son quatrième rapport, mettant en lumière la responsabilité de Daech dans une attaque chimique perpétrée à Marea le 1er septembre 2015. Afin de répondre à l’enjeu de l’emploi d’armes chimiques par des acteurs non-étatiques, l’OIAC dispose d’un groupe à composition non-limitée sur cette question, qui se réunit lors des intersessions.

La France joue un rôle actif au sein de l’OIAC et contribue financièrement à ses activités relatives à la Syrie. Au titre de 2024, une nouvelle contribution volontaire d’1 million d’euros au bénéfice du fonds spécial de l’OIAC pour les missions en Syrie a été réalisée par la France. La chute du régime de Bachar Al-Assad constitue une opportunité historique pour détruire les stocks d’armes chimiques hérités de l’ancien régime, et la France apportera tout le soutien nécessaire à l’OIAC ainsi qu’à la Syrie afin de mener à bien une coopération fructueuse en ce sens.

Le Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques

En janvier 2018, la France a lancé le Partenariat international contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques (PICIAC). Ce Partenariat est le fruit d’une initiative intergouvernementale rassemblant 40 États et l’Union européenne. Le PICIAC œuvre à la lutte contre l’impunité dans l’utilisation d’armes chimiques partout dans le monde. Dans le cadre de ce forum de coopération, les États participants ont pris des engagements considérables en matière de collecte et de partage des preuves afin de servir à des procédures judiciaires. Le Partenariat permet aussi de favoriser la coopération entre les États et les Mécanismes internationaux (tels que l’IIIM) et de rendre publics les noms des individus ou entités sanctionnés.

Au cours de ses travaux, le PICIAC a identifié la compétence universelle et les sanctions administratives comme les principaux moyens juridiques de lutte contre l’impunité d’utilisation d’armes chimiques. Ces outils juridiques sont présentés et résumés dans un document d’orientation publié sur le site du Partenariat, afin d’aider les États volontaires à les mettre en œuvre. En outre, entre 2020 et 2024, le PICIAC a publié des déclarations en réaction aux conclusions des quatre rapports de l’IIT publiés à ce stade. La dernière réunion du PICIAC s’est tenue en novembre 2024.

Mise à jour : février 2025

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