Conférence de presse de Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et de Nassif Hitti, ministre libanais des Affaires étrangères - Propos de M. Le Drian (Beyrouth, le 23 juillet 2020)
Mon cher Nassif, Mesdames et Messieurs, je suis vraiment très heureux d’être ici aujourd’hui, avec toi. Je me suis rendu au Liban pour cette deuxième visite en tant que ministre des affaires étrangères, à la demande du président de la République Emmanuel Macron. Si je suis ici, Mesdames et Messieurs, c’est tout d’abord pour affirmer que la France se tient et se tiendra toujours aux côtés du Liban et des Libanais. Nous avons avec ce pays, vous le savez, un lien très particulier. Entre nous, il y a une histoire partagée et nous fêterons d’ailleurs, cette année, le centenaire de la proclamation du Grand Liban. Il y a aussi entre nous des liens humains très forts qui irriguent nos deux sociétés.
Mesdames et Messieurs, c’est aussi au nom de ces liens que je suis venu porter ici un message de vérité. L’heure est grave. Le Liban est dans une situation très préoccupante. La crise économique et financière fait rage. Elle a des conséquences concrètes dramatiques pour les Libanais, qui s’appauvrissent de jour en jour.
Ce que nous voulons éviter, c’est que cette crise remette en cause le modèle de tolérance et d’ouverture sur lequel le Liban s’est fondé et qui est au cœur de son identité. Je viens donc ici marquer la détermination qui est la nôtre, celle de la France, de rester aux côtés des Libanais, en particulier dans ces moments difficiles.
Les solutions pour le rétablissement du pays sont connues déjà depuis longtemps. Avec la conférence CEDRE, nous avions proposé un « contrat de confiance » pour financer des projets de développement en échange des réformes structurelles nécessaires. Le besoin de changement est connu de tous. Et cette demande de réformes, que j’ai réaffirmée en décembre dernier à Paris dans le cadre du groupe international de soutien que j’avais convoqué, converge d’ailleurs pleinement avec les attentes des Libanais.
Les Libanais ont exprimé avec force leurs aspirations légitimes à travers le mouvement de mobilisation populaire engagé en octobre dernier. Ils sont descendus dans la rue pour marquer la soif de changement, pour marquer la volonté de transparence, de lutte contre la corruption et de meilleure gouvernance de tout un peuple. Cet appel n’a malheureusement pas été jusqu’ici entendu.
Il est aujourd’hui urgent et nécessaire de s’engager de manière concrète dans la voie des réformes. Et c’est le message que je suis venu transmettre à toutes les autorités libanaises et à l’ensemble des forces politiques. Et les attentes que j’exprime ne sont pas simplement celles de la France. Ce sont en premier lieu celles des Libanais et ce sont aussi celles de l’ensemble de la communauté internationale.
Je pense en particulier à la relance des négociations avec le FMI, notamment à travers la mise en œuvre effective de l’audit de la Banque du Liban. Ne nous faisons pas d’illusions, il n’y a pas d’alternative à un programme du FMI pour permettre au Liban de sortir de la crise.
Je pense également à la réforme du secteur de l’électricité, qui est un chantier emblématique. Je veux le dire clairement, ce qui a été fait jusqu’à présent dans ce domaine n’est guère encourageant.
Je pense enfin à la lutte contre la corruption. Et le président Aoun s’est exprimé fortement sur ce sujet auprès de moi, ce matin. Je pense à la lutte contre la corruption, je pense à la lutte contre la contrebande, ce qui est fondamental pour l’avenir du Liban. Et dans le même esprit, l’indépendance de la justice et le renforcement de la transparence sont indispensables.
La France est prête à se mobiliser pleinement aux côtés du Liban et à mobiliser l’ensemble de ses partenaires, mais il faut pour cela que des mesures de redressement sérieuses et crédibles soient mises en œuvre. Des actes concrets sont attendus depuis trop longtemps. Et comme je l’ai dit récemment devant le Sénat français : « Aidez-nous à vous aider » ! C’est, Mesdames et Messieurs, le maître mot de ma visite à Beyrouth.
Le message, que je suis venu porter au Liban, est donc double : celui de l’exigence et des attentes de la France concernant les réformes qui doivent être mises en œuvre par les autorités, et celui de soutien à l’attention du peuple libanais. Avec constance, la France se tient à ses côtés pour lui permettre de faire face à l’ensemble des défis auquel il est confronté.
Dès le début de la crise sanitaire, nous sommes venus en aide au Liban. Notre soutien s’est notamment matérialisé par la livraison d’équipements médicaux. Ces mesures d’assistance ont bénéficié à un nombre restreint de pays mais nous les avons orientées en priorité au bénéfice du Liban. Ce soutien en équipements s’est doublé d’un soutien financier dans le domaine sanitaire.
La France déploie également une action humanitaire à destination des populations les plus vulnérables. Le montant de notre soutien humanitaire direct s’établira cette année à 50 millions d’euros. Nous appuyons principalement les services publics de base, notamment les structures de santé. Mais il revient en premier lieu aux autorités libanaises de mettre en place des filets de protection sociale, dont Nassif vient de parler, pour l’heure inexistants, et de fournir aux Libanais des services publics et des infrastructures.
Je suis également venu, Mesdames et Messieurs, pour marquer le soutien de la France à la jeunesse libanaise et au secteur éducatif. Les conséquences de la pandémie ont été terribles pour le million d’écoliers au Liban qui, comme nombre de jeunes du monde entier, ont été privés de classe pendant de longs mois.
Cette crise est également celle des écoles francophones et françaises puisque la France et le Liban partagent une histoire extraordinairement fertile en la matière. 61 000 enfants étudient dans les 52 écoles françaises sur tout le territoire libanais, plus 300 écoles chrétiennes francophones qui accueillent 190 000 enfants de toutes confessions. Face à la crise, notre mobilisation, à la demande du président de la République française, a été totale. Le plan d’urgence pour l’enseignement français à l’étranger prévoit un segment spécifique pour toutes les familles des 52 établissements du réseau scolaire français au Liban.
Nous avons également décidé d’accélérer la mise en place d’une fondation pour les écoles chrétiennes d’Orient qui viendra soutenir tous les établissements francophones du Liban et de la région, dont chacun connaît la tradition d’accueil d’enfants de toutes origines et de toutes confessions. Je veux donc redire l’importance de cette francophonie, que nous avons en partage avec le Liban, un modèle en soutien à l’éducation, au plurilinguisme et au respect de la diversité.
Enfin, Monsieur le Ministre, cher Nassif, nous maintiendrons notre soutien à l’armée libanaise, colonne vertébrale de cet État, et aux forces de sécurité dans leur ensemble qui jouent un rôle crucial pour garantir la stabilité et la sécurité du pays. Il est essentiel que l’État libanais affirme son autorité et son contrôle sur l’ensemble de son territoire et il est indispensable que l’ensemble des responsables libanais respectent et préservent ce principe de dissociation du pays des crises qui traversent la région.
Je ne peux pas parler du contexte régional difficile dans lequel s’inscrit le Liban sans évoquer la guerre en Syrie. Le Liban accueille sur son territoire, avec une grande générosité, je dois le souligner, un nombre très important de réfugiés.
Nous en avons conscience et je veux une fois de plus saluer les efforts des Libanais pour permettre cet accueil et les assurer que nos efforts ne faibliront pas pour permettre un retour sûr et un retour digne des réfugiés en Syrie.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que je voulais vous dire aujourd’hui. Soyez assurés que la France se tiendra toujours à vos côtés, aux côtés du Liban et des Libanais, et mettra tout en œuvre pour vous aider dans ces temps difficiles. Mais il faut, pour que cela fonctionne, que les autorités libanaises fassent leur part du chemin.
Mesdames et Messieurs, vous connaissez peut-être l’expression française « aide-toi et Dieu t’aidera ».
Ce que j’ai envie de dire aujourd’hui aux responsables du Liban, c’est : « aidez-vous et la France et ses partenaires vous aideront ». Merci./.
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