Discours d’ouverture de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, lors de la session plénière de la conférence sur la mise en œuvre de la solution à deux États (28 juillet 2025)

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La France a co-présidé la conférence sur la mise en œuvre de la solution à deux États les 28 et 29 juillet 2025. Retrouvez ci-dessous le discours d’ouverture de Jean-Noël Barrot, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères lors de la session plénière de la Conférence :

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Monsieur le Secrétaire général

Monsieur le Président de l’Assemblée générale,

Mesdames et Messieurs les Premiers Ministres,

Mesdames et Messieurs les Ministres,

Mesdames et Messieurs,

Instruite par son Histoire entachée du sang de guerres fratricides, fidèle aux principes qui fondèrent les Nations Unies il y a 80 ans, la France reconnaît comme sacré le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Parce qu’il n’y a rien de plus précieux pour l’Homme que la dignité de se tenir libre et debout sur la terre dans laquelle plongent ses racines. Parce que le priver de ce droit conduit inévitablement au ressentiment, à la violence et la guerre.

C’est ainsi que la France se tint aux côtés du peuple d’Israël, lorsqu’après une longue histoire d’exode et de persécution il disposa enfin d’une terre, d’un Etat, et qu’il entra en peuple libre dans la communauté des nations. Et que la France se tint aux côtés d’Israël chaque fois que son droit à l’existence fut contesté ou menacé, en mobilisant sa force diplomatique et militaire chaque fois que son droit à l’existence fut contesté ou menacé. Au nom de la relation millénaire qui lie la France au peuple juif. Au nom du droit des peuples à disposer d’eux même.

La France reconnaît ce même droit aux Palestiniennes et aux Palestiniens. Celui de disposer de leur propre patrie. C’est pourquoi la France considère comme seule alternative au cycle infini de la violence, la perspective que ces deux peuples puissent disposer de Deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité. Une solution qu’elle soutient avec constance depuis des décennies.
Par la voix du général de Gaulle, qui déclare en 1967 qu’un règlement du conflit doit avoir pour base « la reconnaissance de chacun des Etats en cause par tous les autres ».

Par la voix de François Mitterrand, qui affirme en 1982 à la tribune de la Knesset, que le dialogue suppose « la reconnaissance préalable et mutuelle du droit des autres à l’existence ».

Par la voix de Jacques Chirac, qui rappelle en 1996 devant le Conseil législatif palestinien que ce peuple a « une aspiration naturelle à décider librement de son destin, à obtenir un Etat ».

Par la voix de tous leurs successeurs, et singulièrement celle du Président Macron.

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Mais voilà que cette perspective, celle des Deux Etats reconnus et respectés dans leurs droits, est aujourd’hui en danger de mort.

Menacée par l’attaque barbare du 7 octobre, pire massacre antisémite de notre histoire depuis la Shoah. Par le déchaînement inouï de sauvagerie et de cruauté des terroristes du Hamas déferlant dans l’intimité des Kibboutz et sous les eucalyptus du festival Nova. Par le cortège d’ombres défigurées des 1200 innocents sauvagement assassinés dont 50 Français que nous pleurons encore aux côtés d’Israël. Par le sort indigne des otages toujours retenus dans l’enfer noir de la captivité et dont nous exigeons le retour immédiat, comme de ceux dont on devra couper le col de chemise et s’efforcer de faire le deuil. Après des blessures si profondes, comment imaginer une coexistence pacifique ?

Menacée par le prolongement indéfini des opérations militaires déclenchée en retour par Israël à Gaza qui n’ont plus, depuis bien longtemps, de justification militaire ou politique. Déplacements massifs de population, victimes civiles par dizaines de milliers, familles décimées, lieux de culte, hôpitaux, écoles bombardés, distributions humanitaires tournant au bain de sang. Dévastée par la guerre, Gaza est désormais un mouroir où les corps portent les stigmates de la famine et les esprits sont gangrenés par la terreur. Après tant de souffrance, comment envisager la paix ?

Menacée par l’accélération de la colonisation en Cisjordanie. Par la marche funeste des colons extrémistes qui de colline en colline arrachent les oliviers, brulent les récoltes et chassent l’arme au poing des Palestiniens de chez eux, avec la complicité coupable des autorités israéliennes. Par le mitage croissant du territoire palestinien qui compromet la possibilité même qu’un Etat puisse le gouverner, alors que la Knesset a voté la semaine dernière en faveur de l’annexion totale de la Cisjordanie. Face au fait accompli, comment continuer d’espérer ?

De part et d’autres les partisans du rejet sont en train de l’emporter. Ceux de la Palestine du Jourdain à la Mer d’un côté. Ceux du Grand Israël de l’autre. Et la solution à Deux Etats est en danger de mort. Elle s’apprête à céder place à l’affrontement perpétuel.
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A cela, la France ne peut en aucun cas se résoudre.

Et nous ne pouvons plus attendre, car le temps joue contre la paix. Après 22 mois de tentatives infructueuses, il est illusoire d’espérer un cessez-le-feu pérenne sans dessiner une vision commune de l’après-guerre à Gaza, sans tracer un horizon politique, une alternative à l’état de guerre permanent.

C’est pourquoi nous avons pris l’initiative avec l’Arabie Saoudite, grand pays du Moyen-Orient, de lancer une démarche collective de réanimation de la solution à Deux Etats.

Et la France remercie l’ensemble des pays qui ont répondu présent et travaillé inlassablement depuis six mois. Car cette démarche collective, cette conférence convoquée par l’Assemblée générale des Nations Unies, a d’ores et déjà suscité des engagements historiques qui font naître une espérance nouvelle.

C’est la lettre du Président de l’Autorité Palestinienne au Président de la République et au Prince Héritier, dans laquelle, pour la première fois, il condamne les attaques terroristes du 7 octobre, appelle à la libération immédiate des otages du Hamas, demande son désarmement et son exclusion de la gouvernance de Gaza ; il y confirme la fin des allocations dont bénéficiaient les familles des prisonniers condamnés pour terrorisme, annonce une réforme des manuels scolaires pour en retirer tous les discours de haine, s’engage à organiser des élections présidentielles et législatives en 2026, et assume que l’Etat palestinien sera démilitarisé – voici réunies les conditions fixées par le Premier ministre Benyamin Netanyahou dans son discours de 2009 à Bar-Ilan, pour accepter un Etat palestinien.

C’est ensuite la rencontre inédite des sociétés civiles israéliennes et palestiniennes le 13 juin dernier qui lancent d’une seule voix l’Appel de Paris pour garantir la sécurité d’Israël en travaillant à son intégration régionale, et pour reconnaître l’Etat de Palestine.

C’est enfin la dénonciation par l’Arabie Saoudite, et les pays arabes présents aujourd’hui à New York, des crimes du Hamas. L’appel à son désarmement. L’expression forte de leur aspiration à des relations normalisées et une intégration régionale avec Israël.

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Comme l’a écrit le Président de la République en réponse au Président de l’Autorité Palestinienne le 24 juillet dernier,

A la lumière des engagements historiques qui ont été pris et de ceux qui suivront,

Au nom du droit imprescriptible des peuples à disposer d’eux-mêmes,

Au moment où la solution à deux Etats est plus menacée que jamais,

La France est prête à reconnaitre pleinement l’Etat de Palestine, et le fera au mois de septembre prochain.

Cette reconnaissance, décision capitale de la France, est l’expression d’un refus, et porte en elle un appel.

Refus que le camp de la guerre ne l’emporte sur celui de la paix.

Refus de donner raison au Hamas qui a toujours contesté le droit d’Israël à exister. Qui a toujours combattu la solution à deux Etats pour cette raison. Mais la Palestine, ce n’est pas et ce ne sera jamais le Hamas. Reconnaître aujourd’hui un Etat de Palestine, c’est conforter ceux des Palestiniens qui ont fait le choix de la non-violence, du renoncement au terrorisme, de la reconnaissance d’Israël. C’est créer pour les Palestiniens la possibilité d’une alternative. C’est désavouer catégoriquement le Hamas et l’isoler définitivement.

Refus de laisser libre cour au dessein irresponsable des extrémistes qui en Israël refusent aux Palestiniens le droit d’exister et propagent la violence et la haine dans un aveuglement coupable, au mépris des intérêts de sécurité de leur propre pays.

Refus de la résignation qui gagne une partie de la communauté internationale et de ses dirigeants, tentés de baisser les bras. De se résoudre à l’idée que tout cela leur échappe, et qu’il n’y a plus rien à faire. Mais tout dans l’âme de la France rejette la fatalité du fait accompli. Nous avons aujourd’hui l’opportunité de sauver un processus de paix : c’est notre responsabilité devant l’Histoire et c’est notre honneur que de nous en saisir.

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Cette reconnaissance, décision capitale de la France, est aussi un appel.

Appel à tous les peuples et les pays du monde. Apportez votre pierre à l’édifice de la paix. Rejoignez la dynamique irréversible que nous avons initiée avec l’Arabie saoudite en participant à la réunion des chefs d’Etats et de Gouvernement qui se tiendra en septembre au moment de l’Assemblée générale des Nations unies.

Appel aux pays qui n’ont pas encore reconnu l’Etat de Palestine. C’est aujourd’hui que votre décision aura le plus d’impact sur le cours des choses. Attendre que le Hamas soit désarmé pour reconnaître un Etat de Palestine, c’est se mettre soi-même entre les mains du Hamas. Yitzhak Rabin l’avait compris, qui combattait le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, et qui poursuivait le processus de paix comme s’il n’y avait pas de terrorisme. C’est en reconnaissant aujourd’hui que vous créerez les conditions de l’élimination du Hamas.

Appel aux pays arabes et musulmans. Coupez à la racine le rejet d’Israël qui nourrit l’antisémitisme, l’extrémisme et le terrorisme. Reprenez le chemin de la normalisation avec Israël. Donnez à voir aux Israéliens les gains qu’ils tireront d’une architecture de sécurité régionale rassemblant leur pays et l’ensemble de ses voisins. Cela demande du courage, mais vous n’en manquez pas.

Appel au gouvernement israélien. Ecoutez l’indignation qui s’élève dans le monde entier. Saisissez la main qui vous est tendue pour sortir de l’impasse. Ouvrez les yeux sur l’aspiration de vos voisins à vivre en paix et en sécurité avec vous. Cessez le feu. Levez le blocus humanitaire sur Gaza. Levez le blocus financier sur l’Autorité palestinienne. Abandonnez tout projet d’annexion. C’est l’intérêt d’Israël et de sa sécurité.

Appel enfin aux deux peuples, Israélien et Palestinien, éprouvés par l’histoire, martyrisés par la guerre.

A Réïm, où je me suis rendu un an après le massacre du 7 octobre,

A El Arish, à quelques kilomètres de Gaza en ruines,

J’ai vu de mes yeux l’étendue des ténèbres dans lesquelles vous êtes plongés.

Sachez opposer à la violence exercée sur vos consciences les armes de l’esprit. Poursuivez le sillon creusé courageusement par Rabin, Arafat et les artisans de paix qui leur ont succédé. Faites grandir vos enfants à l’écart des haines séculaires et du ressentiment destructeur. Engagez-vous ensemble sur le chemin de crête, entre compromis nécessaire et intransigeance sur l’essentiel, qui seul mène à la réconciliation.

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Consciente de sa responsabilité particulière envers la paix et la sécurité du monde, déterminée à briser la spirale de la violence au Proche Orient, indifférente aux attaques de ceux qui voudraient l’en dissuader, la France est prête à reconnaître pleinement l’Etat de Palestine et le fera au mois de septembre prochain.

Pour que se noue entre les peuples de la région une alliance nouvelle fondée sur la justice, la reconnaissance mutuelle et l’humanité partagée. Pour que se referme le chapitre terrible de la guerre, et que s’ouvre enfin celui tant attendu de la paix.