Déclaration à la presse de Jean-Yves Le Drian, Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, à l’issue du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne (Paris, 18 mai 2021)

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Bonjour,

La réunion du Conseil des ministres des affaires étrangères n’est pas terminée mais étant donné que j’ai des contraintes horaires, puisque je dois aller rejoindre le Président de la République à la conférence sur le financement des économies africaines, je voulais malgré tout faire un point avec vous à ce moment. Il est possible que le Président de la République revienne sur ce sujet dans son point de presse qui aura lieu tout à l’heure.

Ce que je voulais surtout vous dire, c’est une conviction à la fois personnelle et politique. Ce qui se passe, ces moments de grande violence, montrent que l’idée qui avait été caressée pendant un temps par certains – qu’on pouvait simplement ignorer le conflit du Proche-Orient, en pensant qu’il disparaîtrait de lui-même, en pensant que le temps arrangerait les choses, en faisant semblant d’oublier que cela existait –, cette idée-là disparaît, c’était une vue de l’esprit et, au contraire, la réalité revient en force, violemment et avec fracas.

Nous, nous sommes mobilisés depuis longtemps sur ce sujet, et j’avais été amené, avec l’accord du Président de la République évidemment, depuis deux ans, à essayer de trouver, avec nos collègues égyptien, jordanien et allemand, ce que l’on appelait le Groupe d’Amman, à rechercher comment on pourrait réenclencher le processus de paix, parce que nous étions convaincus que cette situation-là ne durerait pas. Et il faut dire que nous n’avions pas un grand succès, mais nous avions travaillé, nous avions parlé à nos partenaires de l’Autorité palestinienne et notre partenaire israélien, d’une manière ou d’une autre, et nous échangions toutes nos informations parce que nous savions qu’à un moment donné il faudrait revenir à la table. Ceux qui ont fait semblant d’oublier, aujourd’hui sont devant cette réalité. La dernière réunion que nous avions eu ensemble, d’ailleurs, dans ce groupe de quatre, c’était le 11 mars dernier à Paris.
Je crois que l’une des raisons de la situation dramatique d’aujourd’hui, c’est parce que, précisément, il n’y a pas de perspective d’un processus politique, et que ce qu’il faut faire, c’est de trouver les voies d’un processus politique, mais avant toute chose, faire en sorte qu’il y ait la cessation des hostilités.

C’est dans cette perspective que je suis intervenu au sein de cette réunion du Conseil des affaires étrangères de l’Union européenne, parce que je suis convaincu que, devant l’escalade des violences, l’Union européenne doit jouer pleinement son rôle dans les efforts de désescalade, car la situation sur place est extrêmement inquiétante.

Il y a un bilan humain très lourd, des familles palestiniennes et israéliennes endeuillées, il y a des images insupportables qui ne peuvent laisser personne indifférent. En tout cas, ce dont je suis convaincu, c’est que l’attentisme n’est pas une option. Et donc, nous devons essayer de rechercher, par des démarches et des pressions convergentes, la cessation des hostilités, le plus rapidement possible, et l’Union européenne doit le dire, elle doit prendre sa part et nous soutenons les efforts initiés par le Haut Représentant et ses équipes dans cette perspective.

Je dois dire aussi que nous avons eu, depuis quelques jours, de nombreux échanges avec nombre de nos homologues. Je me suis entretenu avec Antony Blinken, je me suis entretenu, à plusieurs reprises, avec mon homologue égyptien, avec mon homologue palestinien, mon homologue israélien, mon homologue jordanien. Le Président de la République, lui-même, multiplie les initiatives. Il y a eu, ce midi, un entretien conjoint entre le Président Macron, le Président Sissi et le Roi de Jordanie, avec un objectif de trouver les bonnes médiations pour aboutir, d’abord à un cessez-le-feu et à une relance du processus de paix. Il aura sans doute l’occasion d’en reparler tout à l’heure dans son point de presse.

J’ai aussi beaucoup dialogué avec mon homologue jordanien, en rappelant notre attachement à la préservation du statu quo historique sur les Lieux saints et notre opposition aux évictions de familles palestiniennes.

Nos efforts vont se poursuivre, car chaque jour supplémentaire augmente les risques d’un élargissement du conflit à la Cisjordanie, le risque des violences à l’intérieur-même d’Israël, le risque d’une régionalisation du conflit, le risque d’une remise en cause de la dynamique que représentait la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes. Et nous avons, à plusieurs reprises, d’abord condamné l’action du Hamas, ses tirs indiscriminés, ses tirs aveugles, contraires au droit international, qui mettaient en grave danger la population israélienne dans une forme d’instrumentalisation des actions qui étaient initiées, en particulier à Jérusalem, à l’égard de certaines familles. Je pense à Sheikh Jarrah en particulier, je pense aussi au débat qui se déroulait sur le respect du statu quo sur les Lieux saints. Il y a eu de la part du Hamas une forme d’instrumentalisation de cette situation qui est inacceptable et qui est totalement condamnable.
Dans le même ordre d’idées, nous considérons que le droit d’Israël à sa sécurité est incontournable, que le droit à la légitime défense existe, mais que ce droit-là doit être proportionné et qu’il doit respecter le droit humanitaire international. En particulier, nous souhaitons très clairement et très vivement que, dans la perspective du cessez-le-feu, évidemment, toute initiative d’une opération terrestre ne soit pas envisagée.

Je voulais vous dire cela et vous dire que, parallèlement, puisque vous venez surtout pour ce dernier point, nous avons pu constater – ce n’est pas fini, il y a une suspension de séance qui va reprendre –, nous avons pu constater dans les discussions avec les 27 des convergences qui permettront je pense aux représentants de s’exprimer tout à l’heure, à la fois sur la nécessité d’une cessation des hostilités, le plus rapidement possible ; à la fois sur la nécessité de relancer le processus de paix, là aussi le plus rapidement possible, et de trouver les voies du dialogue ; à la fois de travailler autour du Quartet – je vous rappelle que le Quartet est l’organe de médiation et de discussion qui avait été créé lors de la deuxième Intifada, je crois que c’était en 2002, qui réunit à la fois les Nations unies, l’Union européenne, la Russie et les États-Unis – ; et puis, quatrième point, nous avons souhaité, et l’Union européenne le manifestera, travailler en lien avec le Secrétaire général des Nations unies pour faire en sorte qu’au sein du Conseil de sécurité, on puisse très rapidement acter cette volonté commune d’un cessez-le-feu le plus rapidement possible, ouvrant la voie, ensuite, à une relance du processus de paix.

Voilà ce que je voulais vous dire à cet instant. Je pense que tout cela devrait pouvoir aboutir dans les quelques minutes qui viennent, mais je ne voulais pas vous faire attendre plus longuement.

Q - Un mot sur l’Union européenne, comment se passent les pressions - il y a quand même des divisions au sein des Européens, notamment avec la Hongrie ? Au sein du Conseil de sécurité, aussi, comment contourner le blocage des Américains ?
R - C’est démontrer l’intérêt pour les uns et pour les autres d’un processus qui pourrait s’appuyer sur un cessez-le-feu, parce qu’il est aussi, de notre point de vue, de l’intérêt d’Israël que ce cessez-le-feu puisse avoir lieu. Il est de l’intérêt des populations civiles palestiniennes et israéliennes, et nous faisons valoir ces argumentaires auprès des uns et des autres. Il y a aussi nécessité que l’Europe parle d’une seule voix. Et cette convergence que je sens se dessiner aujourd’hui, normalement, devrait le permettre. Et l’Europe qui parle d’une seule voix, elle a du poids.
Sur les États-Unis d’Amérique, nous avons pu échanger avec Antony Blinken. Ils sont aujourd’hui dans la réflexion sur leurs possibilités d’initiatives. Si d’aventure on mettait en œuvre le dispositif du Quartet, cela permettrait de trouver le lieu ad hoc pour poursuivre la discussion et permettre l’élaboration d’un processus qui pourrait intervenir postérieurement.
Il est certain aussi que la situation politique, en Israël et du côté des Territoires, n’arrange pas la situation. Je pense que jamais, on n’a été devant une situation aussi grave dans le conflit israélo-palestinien ; puisqu’on a eu des crises antérieures qui semblaient, je vous le dis, oublier cette situation difficile, et puis, là, il y a à la fois ces attaques de roquettes inacceptables de la part du Hamas, cette riposte que nous estimons devoir rester proportionnée de la part d’Israël. Mais en même temps, des situations conflictuelles en Cisjordanie, des situations conflictuelles en Israël même, dans les villes israéliennes. Et puis des risques au niveau de la région, puisqu’on a vu, je l’ai dit il y a un instant, des tirs à partir du Sud-Liban, et aussi quelques tirs depuis la Syrie. Donc, il y a des risques d’embrasement. C’est pour cela que l’intérêt de tous, c’est de faire en sorte que l’on puisse, je l’espère au sein du Conseil de sécurité, arriver rapidement à une position claire sur la cessation des hostilités.

Q - Est-ce qu’il y a une évolution de la position française - quand on entendait cette semaine qu’Israël a droit de se défendre, très bien – qui est plus proche de la position américaine ? Vous précisez que cette riposte doit être proportionnée. Est-ce qu’elle l’est ?
R - On l’a toujours dit. Donc on a toujours dit que la légitime défense, ça existait. Puisque le point de départ des actions agressives est bien un point de départ du Hamas. Et qu’on pouvait comprendre qu’Israël, devant les attaques aveugles qui ont été initiées par le Hamas, ne pouvait les accepter comme telles. Nous mettons Israël en prudence sur le fait que la légitime défense doit être proportionnée, conformément à l’article 51 de la Charte des Nations unies.

Q - Vous parliez de reprendre le travail du Quartet, qui a été assez inaudible depuis 2013. Est-ce que l’on achoppe sur la colonisation ? On parle d’un cessez-le-feu, très bien, mais qu’en sera-t-il après ?
R - On a toujours été très clair et très ferme sur notre condamnation de toutes formes de colonisation. La position de la France, c’est la position de l’Union européenne. Et c’est la position que j’ai répétée dans ma dernière déclaration, je crois, il y a quelques jours.