Ukraine - Russie - Burkina Faso - Iran - Interview de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, d’Adrien Gindre, « LCI » (Paris, 5 janvier 2023)

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Q - Bonjour Catherine Colonna.

R - Bonjour.

Q - Merci beaucoup d’avoir accepté notre invitation. On est ravi de vous recevoir.

R - Merci de votre invitation.

Q - On l’a évoqué ce matin dans « Les Matins LCI », Emmanuel Macron a annoncé hier la livraison par la France de chars à l’Ukraine. C’est la première fois que des chars de conception occidentale vont être fournis aux forces armées ukrainiennes. Pourquoi cette décision et pourquoi maintenant ?

R - Eh bien, c’est le signe de notre soutien continu et renforcé depuis cet automne à l’Ukraine. L’Ukraine, rappelons-le, qui est un pays qui est agressé, parce que dans ce qui se passe, il y a un agresseur, la Russie, et un agressé, l’Ukraine, un pays qui souffre et un peuple qui se bat pour sa souveraineté, pour son indépendance, pour l’intégrité de son pays. Et donc depuis le début, comme l’a dit le Président de la République, la France a fait le choix de soutenir ce combat pour la liberté. Et nous avons décidé de renforcer notre aide civile, diplomatique, humanitaire, mais aussi militaire, pour aider tout simplement l’Ukraine à se défendre, avec, dans le passé, des livraisons de matériel, tout le monde a entendu parler des chars qui étaient demandés, avec ce que nous avons fait déjà…

Q - Ça répond effectivement à une demande des Ukrainiens…

R - Ça répond à une demande. Nous ajustons toujours aux besoins…

Q - Mais vous ne craignez pas…

R - Et aux demandes précises sur le plan militaire des Ukrainiens…

Q - C’est tout de même une nouvelle étape. Vous ne craignez pas que les Russes voient ça comme un acte de co-belligérance ? C’est un spectre que l’on pointe, un risque que l’on pointe depuis le début de ce conflit. Ce n’est pas le cas, là ?
R - Ce n’est pas le cas, c’est la raison pour laquelle je rappelais d’emblée qu’il y a un agresseur et un agressé, et que l’Ukraine est en droit, selon la Charte des Nations unies, selon les principes fondamentaux du droit international, est en droit de se défendre, et nous avons le devoir de l’aider à se défendre. Pourquoi ? Parce que, ce qui se passe en Ukraine ne concerne pas que les Ukrainiens. C’est la stabilité du continent européen - la guerre est revenue sur le sol européen - mais c’est aussi une remise en cause profonde des principes qui permettent à l’ordre international, fondé sur les règles, d’être respecté par les États. Donc…

Q - Vous savez déjà quand et combien vous livrerez de chars ?

R - Pas encore, mais je termine simplement sur l’enjeu, qui est vraiment celui-ci : la stabilité et l’organisation du monde dans des conditions qui permettent à chacun de vivre dans un environnement stable et en paix. Alors, pour répondre à votre question, il y a toujours, vous le savez, non seulement des délais d’acheminement, mais des besoins de formation. Donc conformément à ce que le Président de la République avait annoncé cet automne, nous renforçons notre aide par de la défense anti-aérienne, ça a été évoqué hier également…

Q - Il dit d’ailleurs que ça sera poursuivi…

R - …entre le Président et le Président Zelensky…

Q - Ça veut dire, là encore, des nouveaux équipements ?

R - Poursuivie et renforcée. Des équipements ont déjà été livrés, d’autres le seront. Et puis, il y a, comme toujours, des délais d’acheminement, mais aussi de formation, puisque nous formons, comme les autres partenaires européens, et comme d’autres alliés, nous formons des militaires ukrainiens.

Q - Quand on parle de délais, on parle de semaines, on parle de mois, de jours ?

R - Quelques semaines, mais au bout de quelques semaines, ça peut faire des mois !

Q - Dans cette course à l’armement, il y a la partie ukrainienne, mais il y a aussi Vladimir Poutine qui, hier, a fait une communication pour dire qu’il lançait la production en masse d’un missile de croisière hypersonique, Zircon. « Il n’y a pas de meilleure arme au monde », explique le président russe, il y a même son ministre de la défense qui a expliqué que ça permettait de surmonter tout système de défense antiaérienne. Les États-Unis disent : « C’est de la propagande. » Comment vous qualifiez ça, vous ?

R - Je ne voudrais pas devoir vous reprendre, mais quand vous parlez de course à l’armement, je crois que ça ne décrit pas exactement la situation. Encore une fois, la Russie a fait le choix, alors que des discussions diplomatiques étaient en cours, a fait le choix de la guerre, et d’ailleurs, s’est très largement trompée dans ses évaluations, puisque sans doute pensait-elle prendre l’Ukraine rapidement, faire tomber Kiev en quelques jours. Non seulement cela ne s’est pas passé, mais elle est en difficulté : les Ukrainiens ont reconquis une partie des territoires qui avaient été envahis et gardent une capacité offensive. Donc la Russie a fait un mauvais choix, un choix qui se révèle être une impasse, et ne serait pas avisée de se lancer dans une surenchère. Nous lui faisons d’ailleurs tous passer des messages en ce sens. La situation est assez simple : contrairement aux règles fondamentales du droit international, un pays souverain, l’Ukraine, a été envahi par un voisin sans aucune raison, et donc il faut revenir à un respect des règles qui permettent aux nations de vivre ensemble.

Q - Mais ça ne vous inquiète pas, quand Vladimir Poutine parle d’un missile hypersonique ? On nous dit « c’est le plus puissant, le plus performant », ça ne vous inquiète pas ?

R - Non, c’est une rhétorique qui n’est pas plaisante à entendre. Ce que j’essaie de dire, et ce sur quoi je voudrais à nouveau insister, c’est sur le fait qu’il y a ce besoin d’une désescalade, et non pas d’une escalade, en premier lieu de la part du pays agresseur, qui est la Russie, et qui continue à ne manifester aucune volonté de paix, et aucune volonté particulière d’ouvrir des négociations, et qui, au contraire, continue de parler d’annexion de territoires, continue même de parler de « dénazification de l’Ukraine », ce qui n’a aucun sens. Ce sont des contrevérités.

Q - Les Ukrainiens, par la voix de leur directeur du renseignement militaire, ont indiqué qu’à leur reconnaissance, Vladimir Poutine était mourant. Est-ce que vous avez des informations en ce sens ? Est-ce qu’ils disent vrai ?

R - C’est une évaluation qui n’est ni confirmée, ni partagée par les différents alliés avec lesquels nous travaillons.

Q - Donc cette information n’est pas exacte, à votre connaissance ?

R - Pas à notre reconnaissance.

Q - Pourquoi les Ukrainiens la donnent-ils, dans ce cas-là ?

R - Peut-être le pensent-ils, peut-être parce que ça fait partie aussi des vœux qu’ils expriment, je crois d’ailleurs que c’est en ce sens que la personne que vous citez s’est exprimée en disant : « En tout cas, je l’espère », si je me souviens bien.

Q - Le président français, quand il était au G20, en marge de ces discussions au G20, avait indiqué qu’il parlerait bientôt au téléphone avec Vladimir Poutine. Il l’a redit publiquement à deux reprises sur TF1 et LCI. À notre connaissance, ce coup de fil n’a toujours pas eu lieu. Est-il programmé, quand aura-t-il lieu et à quelles conditions ?

R - Il n’est pas programmé, mais il est possible qu’ils se parlent. Ils se sont parlé dans le passé, et c’est utile, et ça reste utile, notamment - et c’est ce que le Président avait rappelé - pour essayer de limiter le risque d’accident nucléaire autour d’une des centrales nucléaires civiles ukrainiennes, qui est occupée par les forces russes…

Q - À Zaporijjia…

R - …la centrale de Zaporijjia. Dans une zone de combats, une centrale nucléaire, cela représente un danger grave, et donc nous aidons l’Agence internationale de l’énergie atomique, l’AIEA, et son directeur, Rafael Grossi, qui a engagé cette difficile mission, d’essayer de convaincre et la Russie et l’Ukraine d’établir une zone de protection, avec retrait des armes lourdes et retrait de tous les équipements lourds, de façon à réduire ce risque considérable qui existe aujourd’hui d’un incident, voire même d’un accident nucléaire. C’est sur cette base que le Président de la République et le Président Poutine s’étaient parlé à plusieurs reprises, et sans doute devront-ils continuer à se parler pour aider l’AIEA dans sa mission, car les semaines passent, et pour reprendre votre expression, non seulement, les semaines, mais les mois, et puisqu’il est temps désormais d’avancer sur les propositions de Monsieur Grossi.

Q - Mais est-ce qu’il y a un contact entre la France et la Russie ? Alors, il n’y a pas eu de coup de fil, vous nous le confirmez, pour le moment. Est-ce que vous, par exemple, vous parlez avec Sergueï Lavrov ? À quel niveau se font les discussions, s’il y en a ?

R - À tous les niveaux, nous avons des contacts, et nous souhaitons maintenir des contacts avec la Russie comme tant et tant d’autres pays et d’autres responsables internationaux. Il m’est arrivé de parler à mon homologue, Sergueï Lavrov, de le croiser dans des conférences internationales - vous mentionniez le G20 par exemple du mois de novembre. Et puis, nous avons un ambassadeur en Russie, qui a des interlocuteurs, qui est parfois appelé par eux, qui, d’autres fois, se déplace dans le pays et nous avons des contacts diplomatiques. Ils ne sont toujours simples, si vous me permettez d’ajouter ceci, mais ils permettent d’échanger des points de vue, de passer des messages aussi, et de faire des demandes, et d’espérer être entendus.

Q - Alors malgré tout, vous le rappeliez tout à l’heure, dans son communiqué, dans le coup de fil avec Volodymyr Zelensky hier, et déjà dans ses vœux samedi, Emmanuel Macron dit bien que la France veut accompagner l’Ukraine jusqu’à la victoire. C’est dit de manière très claire, peut-être plus claire que certains des propos du Président de la République qui ont été mal compris, mal reçus, quand il s’est exprimé sur TF1 et LCI, qu’il avait évoqué les garanties de sécurité qu’il faudrait donner à la Russie, ça avait suscité la controverse, voire la critique. Est-ce que ces propos désormais sont hors d’actualité ? Est-ce que cette idée de garantie de sécurité à la Russie, c’est oublié ?

R - Plus que jamais, et y compris dans la conversation d’hier soir - vous pouvez vous référer au compte-rendu qu’en a fait le Président ukrainien - la question de l’après-guerre, qui n’est pas peut-être une question d’actualité immédiate, reste l’objectif de tous. Revenir à la paix, et revenir à la paix, parce que, à un moment ou à un autre, il faudra des négociations dont les conditions aujourd’hui ne sont pas réunies. Mais hier, le Président Zelensky, avec le Président de la République, a parlé notamment de la suite de son plan de paix, celui qu’il avait présenté au G20 en Indonésie…

Q - Ce fameux plan en dix points, qu’on avait beaucoup commenté…

R - … le plan en dix points, qui comporte un certain nombre d’exigences, et c’est normal - retour des prisonniers, rétablissement de la souveraineté de l’Ukraine- mais qui parle aussi des négociations et du dialogue. Et donc nous continuons à suivre avec les Ukrainiens cette piste, parce qu’il faudra qu’il y ait, après la guerre, une étape de dialogue permettant les conditions d’une paix juste et durable. Aujourd’hui, cela n’est pas encore d’actualité, mais il faut y penser, il faut le préparer, et je dirais même, il faut le bâtir ensemble, avec les Ukrainiens.

Q - Cette paix juste et durable dont vous parlez, ce sont aussi les mots du président français. Pour ceux qui nous regardent, peut-être aidez-nous à comprendre ce que ça signifie une paix juste et durable ? La paix, on en a globalement l’idée ; qu’a-t-elle de particulier quand elle est juste et durable ? Est-ce que c’est une manière, précisément, de dire différemment : il faudra des garanties de sécurité à la Russie ?

R - C’est bien ça, les mots sont importants. Une paix doit être juste, car il peut y avoir des paix injustes : il peut y avoir des capitulations, des situations de fait. Donc l’objectif de la communauté internationale, qui soutient l’Ukraine dans son aspiration légitime à recouvrer sa souveraineté, c’est bien de permettre aux Ukrainiens de définir les conditions dans lesquelles ils pourront envisager des négociations de paix, de façon à régler les questions qui se posent, et à rétablir des conditions normales de paix et de sécurité dans la région, en posant des questions peut-être plus larges même, au-delà de l’Ukraine, de l’architecture de sécurité en Europe. Cela reste un objectif, et ça reste une nécessité. Donc le Président de la République a eu raison, et il en parle avec les Ukrainiens, lesquels en parlent avec tous leurs interlocuteurs.

Q - Il y a la dimension territoriale aussi bien sûr, Emmanuel Macron l’avait rappelé…

R - Bien sûr…

Q - Le Donbass, la Crimée, est-ce que vous considérez que l’Ukraine devra récupérer ces deux territoires, et que cette question est claire ?

R - La question sur le plan du droit international est claire,ces territoires font partie de l’Ukraine, sont dans les frontières internationalement reconnues de l’Ukraine. Ensuite, c’est aux Ukrainiens de définir à quel moment, dans l’action qu’ils sont en train de mener, avec l’aide de la communauté internationale réunie, en particulier avec l’aide de la France, de ses alliés et de ses partenaires européens, à quel moment la situation sera suffisamment équilibrée pour leur permettre d’envisager des négociations de paix. Et ensuite, c’est aux négociations de déterminer ce qui sera fait.

Q - À quel moment se pose la question de savoir si l’Ukraine adhère ou pas à l’OTAN et à l’Union européenne ? Est-ce qu’on fait d’abord la paix et on se pose ces questions plus tard, ou est-ce que ça rentre dans le même cadre ?

R - Ce n’est pas une question d’actualité. Le principe demeure que l’OTAN, qui est une alliance défensive, et non pas agressive…

Q - Vous le rappelez pour les Russes.

R - Il faut le rappeler à tout le monde, mais c’est bien le sens de cette alliance que d’être défensive. Elle a une politique de portes ouvertes. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de limitation, a priori, au-delà du cadre géographique, bien sûr, qui est celui de l’OTAN - Atlantique Nord - il n’y a pas de limitation de qui pourrait entrer, qui ne pourrait pas entrer dans ce cadre géographique, que je rappelle. Néanmoins, ça n’est pas la question qui est aujourd’hui d’actualité, parce que nous sommes dans une autre phase, avec une guerre qui a été déclenchée depuis bientôt un an.

Q - Et pour l’adhésion à l’Union européenne ?

R - Alors, l’adhésion à l’Union européenne est une possibilité qui a été ouverte à partir du mois de juin, lorsque le Conseil européen a donné le statut de candidat à l’Ukraine, après avoir étudié sa situation, et constaté qu’elle remplissait déjà un certain nombre de conditions. Ensuite, il y aura un chemin, un assez long chemin sans doute à parcourir, avec la nécessité de nombreuses réformes, mais c’est désormais un travail qui est engagé des deux côtés, côté Commission européenne et partenaires européens, et puis, côté ukrainien aussi, qui a un programme…

Q - Mais qui ne se pose pas dans l’immédiat, qui reste une perspective de long terme…

R - Mais ce travail est en cours. C’est un travail qui, comme toujours, prendra un certain temps, mais qui est en cours concrètement, avec des réformes qui ont été identifiées et qui sont poursuivies, et doivent l’être selon un calendrier précis avec l’Ukraine.

Q - Vous le disiez à l’instant, c’est aussi à l’Ukraine d’analyser la situation, de faire ses propositions, d’avoir ses positions. Il y a quelques jours, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, disait aussi que ce que l’Ukraine peut obtenir de ces négociations dépend inextricablement de la situation militaire. Autrement dit, est-ce que ça veut dire que l’Ukraine doit d’abord gagner la guerre militaire pour faire la paix et pour faire cet accord ?

R - L’Ukraine doit d’abord rétablir une meilleure situation. J’en reviens toujours éternellement, pardonnez-moi, aux mêmes choses : c’est un pays qui a été agressé, dont une partie du territoire est occupée par une puissance étrangère, la Russie, qui, au demeurant, mène une guerre particulièrement cruelle, qui bombarde jour après jour, avec des missiles, avec des drones, les installations civiles ukrainiennes, et les civils ukrainiens. Ce n’est pas une façon de faire la guerre, c’est même constitutif de crimes de guerre, à répétition. Donc l’Ukraine doit se défendre et doit rétablir une meilleure situation avant de pouvoir envisager des négociations de paix, dans une situation qui lui permet d’avoir un certain nombre de choses à présenter à la Russie, à mettre sur la table, et engager, là, des négociations.

Q - Votre collègue des armées, Sébastien Lecornu, disait sur cette antenne chez Darius Rochebin dimanche soir, qu’une nouvelle offensive russe était à prévoir. Il parlait de l’horizon de février-mars. Qu’est ce qui permet au gouvernement français de l’affirmer ?

R - Je pense que des deux côtés, ce que l’on voit, c’est que les lignes de front ont assez peu bougé ces derniers temps, parce que l’hiver s’installe progressivement, même si la période du gel n’est pas encore arrivée. Donc les deux armées sont dans des lignes moins mouvantes que cet automne, et donc vraisemblablement, peuvent chercher de part et d’autre à reconstituer un peu leurs forces et à être en mesure de reprendre une offensive dès lors que les conditions météorologiques le permettront. D’où cette date de la fin de l’hiver, du début du printemps. Mais c’est un raisonnement militaire qui peut valoir pour chacune des forces en présence. Donc il est important d’ici-là, et nous avons encore du temps devant nous, d’essayer de consolider les positions ukrainiennes, voire même de mettre l’Ukraine en mesure de continuer à marquer un certain nombre de points, de façon à rétablir une situation qui lui permette d’engager des discussions sur de meilleures bases.

Q - On parlait de l’aide militaire tout à l’heure, il y aura justement un sommet sur l’aide qu’on peut apporter à l’Ukraine, organisé entre l’Union européenne et l’Ukraine, qui sera organisé le 3 février à Kiev. Est-ce que la France sera représentée sur place ? Est-ce qu’Emmanuel Macron, vous-même, y serez ?

R - Ce sont les institutions européennes qui sont présentes et non pas l’ensemble des pays européens dans ce sommet ‘Union européenne-Ukraine’.

Q - Donc la Commission et le Conseil.

R - Voilà, la Commission, le Conseil, et les représentants ukrainiens. Habituellement ça se tient alternativement à Bruxelles ou à Kiev. Les Ukrainiens souhaiteraient que ce fut le tour de Kiev. Il faudra regarder quelles sont les décisions prises par l’Union européenne et l’Ukraine d’un commun accord mais il n’est pas certain aujourd’hui que les conditions de sécurité permettent de tenir un sommet.

Q - Donc vous mettez un bémol sur cette annonce qui a été faite par la partie ukrainienne.

R - Ce n’est pas confirmé en tout cas, mais c’est une proposition faite par l’Ukraine, bien sûr.

Q - L’Europe, c’est aussi un moteur depuis des années, qui est le couple franco-allemand, qui a été un peu chahuté. Il y avait un conseil des ministres franco-allemand qui était prévu pour le mois d’octobre, qui a été annulé…

R - Reporté.

Q - Oui, annulé à ce moment-là, il aura lieu…

R – Reporté !

Q - Il aura lieu effectivement le 22 janvier, qui n’est pas un jour choisi au hasard bien sûr : ça célèbre historiquement l’amitié franco-allemande, ce sont les 60 ans du Traité de l’Élysée. Est-ce que ça veut dire que la brouille est totalement derrière nous, que désormais le couple franco-allemand est le moteur de l’Europe et a retrouvé sa pleine lune de miel ?

R - Il l’est, il le reste et il le demeure, et vous savez bien qu’on a une responsabilité particulière, France et Allemagne, du fait de l’Histoire, qui nous oblige dans nos efforts de poursuite de la construction européenne. Le sommet n’a pas été annulé, il a été reporté, et il a été reporté…

Q - C’est rare, c’est rare.

R - Oui, mais il fallait avoir la lucidité de constater que nous n’avions pas suffisamment travaillé pour permettre un sommet actant un certain nombre de points précis dans différents domaines ministériels, sujet par sujet…

Q - Parce qu’il y avait des désaccords.

R - Mais aussi exprimant clairement, pour nous-mêmes et pour nos partenaires, cette volonté franco-allemande de mettre leurs relations au service d’une Europe plus forte, plus puissante, assumant mieux ses capacités de souveraineté. Et donc depuis le mois d’octobre, nous avons beaucoup travaillé : d ’abord le Chancelier Scholz est venu à Paris le 26 octobre, jour qui était prévu pour le sommet, la Première ministre Élisabeth Borne est allée à Berlin, les ministres se sont déplacés, j’ai reçu mon homologue, beaucoup de mes collègues ministres sont allés également en Allemagne…

Q - Donc tout va bien.

R - Je crois que non seulement tout va bien, mais que vous verrez le 22 janvier, jour anniversaire du Traité de l’Élysée, qui a refondé la relation franco-allemande, que se tiendra ce conseil des ministres franco-allemand, un Conseil de défense également, comme il est de tradition, et puis un certain nombre de cérémonies marquant l’importance de cet événement. D’ici là, je me rendrai la semaine prochaine, avec ma collègue et amie Annalena Baerbock, en Afrique. Nous ferons en voyage ensemble, en Éthiopie, pour consolider l’accord de paix qui a été enfin trouvé et pour apporter notre soutien à l’action de l’Union africaine.

Q - Donc parler d’une même voix.

R - Nous serons ensemble également après le 22 janvier, puisque nous irons ensemble au Conseil des affaires étrangères qui suivra le lendemain à Bruxelles.

Q - Donc on affiche effectivement cette entente.

R - On a beaucoup travaillé.

Q - Deux questions encore, rapidement, avant qu’on arrive à la fin de cet entretien Madame la Ministre, justement sur l’Afrique. Il y a un pays, après le Mali, après la Centrafrique, le Burkina Faso, où s’exprime un sentiment antifrançais ; le pouvoir burkinabè a adressé une lettre demandant le départ de l’ambassadeur de France. Déjà, est-ce que vous confirmez effectivement ce point, et est-ce que ça veut dire que cet ambassadeur de France va rentrer en France, comme le souhaitent les autorités locales ?

R - Alors, là-dessus, vous avez vu qu’hier le Quai d’Orsay a confirmé que nous avions reçu une lettre, au contenu inhabituel, qui encourageait plutôt à la nomination d’un autre ambassadeur. Je ne vais pas en livrer les termes, parce que nous n’avons pas à le faire, et je ne crois pas qu’il faille faire de réponse publiquement à un courrier qui est, au demeurant, un courrier qui reste privé. Je veux dire mon soutien, notre soutien, à notre ambassadeur, et à toute l’équipe de l’ambassade d’ailleurs, qui font un travail remarquable, dans des conditions dont vous savez qu’elles sont difficiles…

Q - Avec un sentiment antifrançais…

R - Il y a eu un coup d’État, et il y a un discours antifrançais qui est parfois diffusé, de façon organisée, méthodique - il y a des forces à l’œuvre et vous savez lesquelles -, de façon à viser à établir…

Q - …Avec la présence de Wagner aussi, en Afrique…

R – …Avec, potentiellement, des liens, peut-on imaginer, oui, entre cette campagne antifrançaise et Wagner, qui est une entreprise de mercenaires, qui commet des exactions, qui n’apporte pas la stabilité au pays, mais au contraire de la prédation, de l’insécurité et de la violence.

Q - C’est aussi un message que les Africains doivent entendre de votre point de vue.

R - Ils doivent l’entendre.

Q - Je précise juste que l’image que l’on voit effectivement à l’écran, ce sont les obsèques qui ont lieu aujourd’hui de Benoît XVI. Votre collègue Gérald Darmanin est sur place aujourd’hui pour représenter la France et le gouvernement français. Un dernier mot, très rapidement, pour terminer. Dans l’actualité internationale il y a aussi cette protestation de l’Iran face à des caricatures publiées par « Charlie Hebdo » qui sont jugées insultantes contre le chef suprême de l’Iran, l’ayatollah Khamenei. Le gouvernement iranien estime que ça ne pourra pas rester sans réponse efficace et ferme parce que précisément, de leur point de vue, « le gouvernement français dépasse les bornes et a définitivement opté pour la mauvaise voie », disent-ils. Que répondez-vous ?

R - Tout simplement que la mauvaise politique est celle qui est suivie par l’Iran, qui pratique des violences à l’encontre de sa propre population, mais qui pratique aussi une politique des otages qui est particulièrement choquante. Donc, rappelons simplement qu’en France, la liberté de la presse existe, contrairement à ce qui se passe en Iran, et qu’elle s’exerce sous le contrôle du juge, dans le cadre d’une justice indépendante - là aussi c’est quelque chose que l’Iran sans doute connaît mal. Par ailleurs, nous n’avons pas en droit français la notion de blasphème, et donc je crois qu’il serait raisonnable de mieux considérer quel est le cadre juridique dans lequel vous exercez, vous journaliste, et tous vos collègues, la liberté d’expression qui s’attache à votre métier.

Q - Donc pas de nécessité à répondre à cette mise en garde de l’Iran. Merci beaucoup, Madame la ministre, d’avoir été avec nous ce matin…

R - Merci à vous.

Q - Pour évoquer ces nombreux sujets.

R - Ils sont nombreux.

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