Les relations transatlantiques en temps de confrontation stratégique (21 octobre 2022)

Partager

Traduit de l’anglais - Q&R

Max Bergmann : Merci beaucoup Madame la Ministre. Il y a tant de sujets à aborder et vous avez ouvert de nombreuses pistes de discussion. Je commencerai peut-être par vous interroger au sujet de la relation franco-américaine et de la visite d’État. Vous avez mentionné dans votre intervention que la France souhaitait parvenir à davantage de coopération sur les questions spatiales, énergétiques, numériques et dans le cadre du Conseil du commerce et des technologies. Au-delà de ces domaines spécifiques et de manière plus générale, quels résultats sont attendus de cette visite d’État ? En attendez-vous l’établissement d’un nouveau type de partenariat, d’une relation nouvelle avec les États-Unis ou une amélioration de la relation existante ?

Ministre Catherine Colonna : Merci beaucoup pour ces questions importantes. Le Président de la République française se rendra à Washington les 1er et 2 décembre prochains. L’objectif de cette visite est de renforcer notre relation bilatérale pas seulement pour en démontrer la vitalité, elle est déjà bien visible, nous en avons chaque jour de nouvelles preuves ici ou là, mais aussi et surtout pour la porter encore plus loin, et ce pour deux raisons essentielles : tout d’abord, nous devons parvenir dès à présent à des résultats concrets, dans le cadre du communiqué conjoint adopté par les Présidents américain et français il y a un an juste après l’incident de l’AUKUS, pour le dire en termes très diplomatiques, qui avait entamé la confiance entre nos deux nations et la fiabilité de notre relation. Ils ont alors tout mis sur la table, leur décision a été prise très vite puisqu’elle est intervenue seulement un mois après l’AUKUS, ils ont décidé en quelque sorte d’améliorer les choses et ont adopté une feuille de route. Des groupes de travail bilatéraux se réunissent et il est temps à présent de traduire leurs travaux en décisions concrètes, qu’il s’agisse des questions commerciales, énergétiques ou d’autres questions et des échanges doivent avoir lieu bien évidemment dans bien d’autres domaines tels que les questions spatiales, la coopération en matière de nucléaire civil, et tant d’autres. C’est là ce que nous attendons comme résultat de cette visite : un an après l’adoption de la feuille de route, il s’agit de passer à une nouvelle étape. Il est tout aussi important et peut-être davantage, compte tenu des événements des 12 derniers mois, d’adresser un message ne portant pas seulement sur notre relation avec les États-Unis mais prônant une solidarité générale. Nous faisons front commun avec tous les pays qui croient en un ordre international fondé sur les règles de droit et adhèrent aux principes démocratiques, avec toutes les personnes qui croient en des valeurs universelles et à l’état de droit. Nous sommes déterminés à nous atteler à ces problématiques ensemble, que ce soit sur le continent européen, en Ukraine ou ailleurs, et face aujourd’hui à tant de problématiques mondiales, il est grand temps de montrer que nous sommes résolus à aller de l’avant. Nous sommes pleinement conscients de ce qui est en cours. Je pense que personne n’est dupe. Aucun d’entre nous ne l’est, aucun dirigeant non plus. Aussi souhaiterions-nous franchir une nouvelle étape, pas seulement pour être plus unis entre nous, mais aussi pour délivrer un message au reste du monde. Je le répète, notre relation ancienne est passée par des hauts et des bas, mais à présent le reste du monde a plus que jamais les yeux rivés sur nous.

Max Bergmann : Je voudrais vous interroger au sujet de l’autonomie stratégique de l’Europe ou de la souveraineté européenne. Le Président français en a fait un thème majeur de son mandat dès 2017. Et cela a provoqué un malaise dans une partie de l’opinion américaine ou dans certains milieux de la capitale américaine, car l’autonomie de l’Europe y a été comprise comme un éloignement des États-Unis. Vous avez il me semble exposé de solides arguments démontrant que tel n’est pas le cas, mais qu’au contraire cela se veut complémentaire de la relation avec les États-Unis. Je suis curieux de savoir comment l’administration Biden reçoit ce message. Si le Conseil du commerce et des nouvelles technologies a enregistré des progrès importants, il ne semble pas que ce soit le cas du dialogue UE-États-Unis en matière de sécurité. J’aimerais savoir dans quelle mesure l’administration Biden adhère à l’idée que l’autonomie stratégique de l’Europe sert au bout du compte les intérêts américains. Cela se traduira-t-il par une Europe plus forte ?

Ministre Catherine Colonna : Je ne pense pas que cela soit un sujet difficile entre les deux Présidents car ils partagent le même point de vue. Il s’agit effectivement d’une approche complémentaire, indispensable pour que l’OTAN soit solide. Et nous sommes, me semble-t-il, un partenaire sûr et solide au sein de l’OTAN, un bon allié. J’ai fait référence à la nécessité de renforcer nos efforts en matière de défense afin de disposer, ne serait-ce qu’au niveau militaire, d’une Europe mieux dotée. La France a été un des bons élèves dans ce domaine, mais d’autres pays nous ont emboîté le pas et nous rejoignent. Donc qu’il s’agisse du domaine militaire ou de l’autonomie stratégique au sens large, nous devons être à nouveau en capacité de produire des biens essentiels, la démonstration en a été faite pendant la pandémie. Je me réfère par exemple aux équipements de protection individuelle ou à certains médicaments que nous n’étions plus en mesure de produire ou ne produisions plus en Europe ou aux États-Unis. Il s’agit donc d’une approche qui va bien au-delà des seules questions relatives à la sécurité. Et je pense que les États-Unis sont d’accord. Si des interrogations subsistent sur la nature complémentaire de ces deux piliers, elles sont dues à une méconnaissance profonde de ce que nous sommes. Nous faisons tout notre possible pour expliquer cela. Je pense que si on regarde l’état du monde, il n’y a aucun doute à avoir sur qui sont les partenaires fiables et qui partage les mêmes valeurs. Nous, Européens et Américains, défendons les mêmes intérêts.

Max Bergmann : Je crois que la réponse forte de l’UE, que vous avez soulignée, en matière de sanctions et d’assistance en équipements létaux en est un bon exemple. Regardons la guerre en Ukraine et la Russie. Il semble que le Président russe redouble d’efforts pour mobiliser son pays et frappe les civils ukrainiens au moyen de missiles et de drones kamikazes. Pourriez-vous nous dire comment vous voyez en ce moment la situation au Kremlin ? Que pensez-vous des décisions prises par les autorités russes ? Vous avez indiqué que le Président russe avait sous-évalué la détermination européenne. Pensez-vous qu’à ce stade, il a de nouveau mal évalué la situation ? Quelle évaluation faites-vous de sa situation au plan politique ?

Ministre Catherine Colonna : Je pense qu’il a clairement commis plusieurs erreurs de jugement. Du point de vue militaire, l’objectif était sans doute de prendre rapidement Kiev. Cela n’a pas été le cas. Une autre erreur a été commise s’agissant de la communauté internationale. Il convient de déployer des efforts et de donner des explications. Nous devons nous montrer extrêmement vigilants et actifs pour expliquer que ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement l’Ukraine ou la sécurité de notre continent, mais c’est l’ordre mondial dans son ensemble. Les piliers de l’ordre international ont été ébranlés et personne ne peut l’accepter, que ce soit en Europe ou dans le reste du monde. Les Russes n’ont pas gagné de soutiens, ils sont isolés depuis le début. Ils demeurent isolés avec à leurs côtés un très petit nombre de pays qui ne sont pas précisément nos partenaires. Une autre erreur de jugement a été commise sur le front intérieur russe. L’appel à la mobilisation partielle n’a pas vraiment été bien reçu par la population russe. Il a provoqué le départ de Russie de centaines de milliers de personnes. La question du processus de la prise de décision au Kremlin demeure une énigme pour nous tous. Toutefois il est clair qu’il s’agit d’un pouvoir isolé. Et cela le conduit à une fuite en avant, vous avez parlé de jeu à quitte ou double, mais il me semble que cette dernière expression est trop noble pour le cas d’espèce. La fuite en avant signifie poursuivre dans la même direction en allant toujours plus loin. Il nous faut être prêts, avec calme, persévérance et détermination, à jouer notre rôle. Cela consiste à soutenir l’Ukraine, à défendre l’ordre international et nos valeurs, tous ensemble, en veillant à ne pas offrir au Kremlin la possibilité de nous diviser. Et comme je l’ai évoqué dans mes remarques préliminaires, je suis assez préoccupée par le fait que nous devons, pour étayer l’harmonisation de nos mesures, avoir une approche économique commune de cette nouvelle donne. C’est pourquoi les questions énergétiques sont essentielles pour notre avenir.

Max Bergmann : J’ai une autre question : un dirigeant qui commet des erreurs de jugement est une chose, mais que dire d’un dirigeant qui commet des erreurs de jugement et qui détient l’arme nucléaire ? La possibilité que la Russie emploie des armes nucléaires tactiques sur le théâtre des opérations a suscité de vives inquiétudes. Quel est votre degré de préoccupation à ce sujet ? Si la Russie employait des armes nucléaires tactiques, quelle serait la réaction de la France ?

Ministre Catherine Colonna : Je serais bien avisée de vous répondre en deux temps. Tout d’abord, il ne faut jamais répondre à une question hypothétique. Et surtout pas à celle-là. Deuxièmement, lorsque l’on parle d’armes nucléaires, je crois qu’il faut faire preuve de prudence, et aussi ne pas trop en dire. Je me contenterai de rappeler que nous exhortons la Russie à se comporter en puissance responsable. C’est une obligation qui lui incombe en tant que puissance dotée.

Max Bergmann : Voilà une réponse fort avisée. Permettez-moi maintenant de vous poser quelques questions au sujet de la fourniture française d’assistance militaire à l’Ukraine. D’une part, on peut dire que la France, l’Union européenne et les pays européens ont fourni une assistance militaire non négligeable et que fournir une assistance létale à un autre pays est une première pour de nombreux pays, et pour l’UE elle-même. Mais dans les faits cette assistance semble insuffisante pour un pays qui combat seul une puissance militaire d’envergure mondiale. En vous projetant dans six mois, ou dans trois mois, pensez-vous que la France pourrait accroître son aide à l’Ukraine ? Pensez-vous que l’Europe en sera capable ? Que répondez-vous à ceux qui accusent l’Europe d’avoir fourni une assistance bien inférieure à celle des États-Unis ?

Ministre Catherine Colonna : Je vous répondrai brièvement en deux points : nous prenons notre part, et nous sommes efficaces. Je vous ai donné les chiffres et quelques détails. Mais en ce qui concerne la France nous avons fait le choix, je vous le rappelle, de ne pas rendre public l’ensemble des détails de notre aide militaire avant sa livraison. Mais nous avons livré tout ce que nous avions promis. Et c’est à porter à notre crédit. Et nous ne souhaitons pas que tout soit rendu public à l’avance parce que ce ne serait pas utile, et je pense que ça n’aiderait pas l’Ukraine. Ce qui compte, c’est que depuis le début nous prenons notre part ; nous avons décidé de renforcer notre aide, et nous l’avons fait. Nous le faisons en étroite coopération avec l’Ukraine et nous tentons de répondre, dans la mesure de nos moyens, aux demandes et aux besoins ukrainiens. Comme vous le savez, nous avons livré, nous livrons et nous continuerons à livrer de l’artillerie ; nous avons fourni des missiles, des véhicules blindés légers, des munitions, et bien d’autres choses. Je me suis moi-même rendue trois fois à Kiev, et j’y ai rencontré, avec mes collègues, le président Zelensky et plusieurs de ses ministres. À chacune de mes visites, j’ai pu constater que M. Zelensky apprécie particulièrement notre action et l’efficacité de nos livraisons. Car nous répondons à leurs demandes. Voilà ce que nous faisons ; nous renforcerons notre action et l’UE prendra sa part, notamment avec cette nouvelle mission qui formera les Ukrainiens à l’utilisation du matériel que nous leur fournissons, afin de gagner du temps.

Max Bergmann : J’évoquerai rapidement l’UE, ou plutôt la Facilité européenne pour la paix. Après une rallonge de 500 millions d’euros supplémentaires, elle atteint maintenant les 3 milliards d’euros. Mais elle risque d’être à court de fonds, puisque la moitié de la somme allouée jusqu’en 2027 a déjà été décaissée. La France est-elle en faveur d’un accroissement du montant alloué à la Facilité européenne pour la paix ou d’un autre instrument pour que l’UE puisse augmenter son aide à l’Ukraine ?

Ministre Catherine Colonna : Si c’est nécessaire, nous le ferons. J’insiste sur ce « si c’est nécessaire », parce que cette Facilité représente à peu près 5 milliards d’euros, qui ne sont pas encore complètement financés. Lundi, avec cette rallonge de 500 millions, nous avons atteint les 3 milliards. Je pense donc que nous avons encore une certaine marge de manœuvre, même si cela semble contradictoire que la Facilité pour la paix finance des armes létales, mais ce sont les outils dont nous disposons. Je vous rappelle toutefois qu’il s’agit d’un instrument intergouvernemental, pas d’un fonds financé par le budget de l’UE, mais si c’est nécessaire, nous devrons en faire plus. Nous l’avons mentionné aujourd’hui, nous en reparlerons lundi, mais nous le ferons si c’est nécessaire.

Max Bergmann : J’aimerais maintenant aborder le sujet du canal diplomatique informel que le président Macron maintient avec le président Poutine et qui a fait l’objet de vives critiques sur Twitter, me semble-t-il dans les pays d’Europe de l’Est. Que leur répondriez-vous ? J’ai pourtant l’impression que cela se fait de manière relativement coordonnée avec l’Ukraine et les États-Unis. Sur quoi portent, à l’heure actuelle, les discussions entre MM. Macron et Poutine ?

Ministre Catherine Colonna : Je me permets de vous reprendre sur un point : la coordination avec nos amis est totale, et c’est bien normal. Il ne saurait en être autrement. Vous vous en doutez, ce ne sont pas des discussions faciles. Parfois ce n’est pas chose aisée, et tous les résultats que nous aimerions obtenir ne sont pas toujours au rendez-vous. C’est bien évident. Mais nous sommes convaincus qu’il est vital de maintenir ouverte une voie de communication avec les décideurs russes, et cela inclut M. Poutine. Et nous ne sommes pas les seuls à dialoguer avec le président ou les ministres russes. Je me suis laissé dire que certains ministres américains avaient fait de même à l’occasion, y compris récemment. En réalité, en y réfléchissant bien, M. Poutine est probablement plus isolé que jamais du fait de sa conception toute personnelle du monde et de la manière dont il faut le diriger, et ce ne serait pas faire le bon choix que de renforcer cet isolement. Il est clair, néanmoins, que nos messages ne sont pas suffisamment entendus. Mais nous devons saisir cette occasion de lui expliquer notre manière de voir les choses et ce que nous attendons de lui. Il faut qu’il entende notre point de vue, les analyses que nous faisons de ses erreurs, et nos exhortations à prendre une autre voie. Et parfois, nos efforts portent leurs fruits, comme pour la centrale nucléaire de Zaporijjia, où nous avons discuté, le président de la République et les présidents Zelensky et Poutine, puis mon collègue M. Lavrov et moi-même, pour ouvrir la voie à la mission de l’agence onusienne de l’énergie atomique à Zaporijjia. Il a fallu des mois de négociations, mais nous sommes parvenus à y déployer une présence internationale, et peut-être à jeter les bases d’une zone de sécurité autour de la centrale, ce qui est un point absolument crucial : cet endroit est trop dangereux pour être le théâtre d’un conflit armé. En résumé, ces discussions ne sont pas aussi utiles qu’on pourrait l’espérer, mais elles sont nécessaires, vitales, et elles doivent se poursuivre. Nous ne sommes pas seuls à le penser.

Max Bergmann : Je souhaitais vous interroger brièvement au sujet de l’élargissement. L’UE a accordé à l’Ukraine le statut de pays candidat, ce qui à mon avis est une avancée très importante. Je pense que, du point de vue américain, l’adhésion potentielle à l’UE est cruciale pour la reconstruction de l’Ukraine. Pourtant, les projets d’élargissement de l’UE se sont enlisés dans les Balkans occidentaux. Dans l’optique de l’élargissement et de l’adhésion de nouveaux membres à l’UE, la France considère-t-elle comme nécessaire d’adopter un nouveau traité, de réformer le fonctionnement de l’Union avant d’accueillir de nouveaux membres ?

Ministre Catherine Colonna : Pas exactement. Nous pensons, et nous ne sommes pas les seuls, qu’un nouveau traité sur l’Union européenne sera nécessaire mais nous connaissons les difficultés qui nous attendent. Mais le problème n’est pas l’élargissement. L’élargissement est un processus, qui se fait selon des règles. Des règles que tout le monde connaît. Et il n’est dans l’intérêt de personne, pas même de celui des pays candidats, que ces derniers rejoignent l’UE au terme d’une procédure accélérée sans y être parfaitement préparés. Vous avez mentionné les Balkans. Après la guerre en ex-Yougoslavie, nous leur avons dit sans ambages que les règles étaient claires, qu’ils seraient les bienvenus dans l’UE en tant que membres, pas seulement comme partenaires. À condition d’en avoir la capacité. Alors nous jouons notre rôle. Certains pays nous ont rejoints dès qu’ils en ont été capables. Pour d’autres, cela a été un peu plus long. L’un de nos objectifs est de leur montrer qu’il s’agit de leur avenir, que nous sommes prêts à les accueillir, et que la balle est maintenant dans leur camp. Le président Zelensky l’a dit lui-même, lorsque l’UE a accordé ce statut à l’Ukraine, que c’était au tour des Ukrainiens d’agir. Et nous les y aiderons.

Max Bergmann : Je voudrais vous poser une question concernant la politique extérieure de la France à l’échelle de l’Europe, car il semble que vous soyez devenue ministre à un moment compliqué où les relations avec le Royaume-Uni sont difficiles. Des tensions sont apparues entre la France et l’Europe de l’Est, un nouveau gouvernement a pris la tête de l’Italie, un partenaire constant de la France, et il y a des tensions avec l’Espagne concernant le gazoduc MidCat. Certains ont critiqué la France et sa manière de défendre en premier lieu ses propres intérêts nationaux au niveau européen, très fortement et en délaissant parfois les intérêts européens. Alors, comment évaluez-vous la politique étrangère de la France en Europe et la capacité de la France à tenir son rôle moteur ?

Ministre Catherine Colonna : Tout d’abord, le Brexit était plutôt une problématique pour l’ambassadeur de France à Londres et le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. Il a eu lieu. Comme vous le savez, nous en avons pris acte. Nous avons signé de nouveaux accords. C’est ainsi, et nous devons dorénavant nous tourner vers un avenir plus positif. L’Europe regorge de diversité, ce n’est pas un fait nouveau. En revanche, nous avons su non seulement rester unis, y compris pendant cette crise de la guerre en Ukraine qui aurait pu nous pousser à nos limites, mais nous avons aussi progressé vers plus d’intégration. Cela exige parfois beaucoup de temps, beaucoup d’efforts, ce n’est pas toujours facile, mais nous avançons. Il y a quelques années, personne n’aurait cru que nous aurions pu dégager une capacité d’emprunt commune, et pourtant cela a été fait. Il y a seulement quelques années, prononcer les mots « autonomie stratégique » aurait été tabou, et la « défense européenne » une idée saugrenue. Et vous savez, l’histoire de l’Europe, le marché commun a été créé suite à l’échec de la défense communautaire. Donc, même si cela a pris du temps, nous avons réussi à atteindre ce palier où tout le monde sait que pour notre bien à tous, nous devons être une Europe plus intégrée, plus politique, plus souveraine, et ce aussi dans l’intérêt de nos amis et partenaires dont nous partageons les valeurs.

Max Bergmann : Nous allons prendre une ou deux questions du public, nous n’aurons que quelques minutes. Ma dernière question porte sur le changement climatique, vous l’avez évoqué. Pour nombre d’entre nous, aux États-Unis, un miracle a eu lieu cet été lorsque le Sénat américain a voté la loi sur la réduction de l’inflation qui prenait des mesures climatiques fortes et courageuses. Mais vous le savez, un certain nombre de dispositions de cette loi doivent être mises en œuvre ici sans nécessairement tenir compte de la dimension transatlantique. Selon vous, est-ce là une potentielle guerre commerciale écologique qui se profile, à l’instar du litige entre Airbus et Boeing qui a bousculé les relations transatlantiques, ou bien est-ce que ce problème peut être facilement résolu ?

Ministre Catherine Colonna : Sans nul doute, nous ne cherchons pas la guerre, et certainement pas sur ce sujet. Nous faisons face à une réalité double. Il est évidemment bienvenu que les États-Unis agissent pour atteindre leur objectif de neutralité carbone. Nous faisons strictement la même chose, et donc nous ne nous plaignons pas de cette accélération qui était et est nécessaire. C’est une bonne nouvelle. Maintenant, nous devons rester prudents, et aussi avoir une discussion avec l’administration américaine et tous nos collègues. Nous devons discuter de l’éventualité que cette législation produise des effets négatifs sur la concurrence, et donc sur nos relations commerciales, mais plus profondément encore, déstabilise ce que je nommerais notre alignement économique. Je pense que cela est absolument indispensable pour notre prospérité commune à l’avenir et en particulier dans le contexte actuel de la guerre en Ukraine et des efforts continus qu’elle nous demandera de déployer à long terme. Nous ne pouvons nous permettre aucune déstabilisation. Donc nous aurons ces discussions.

Max Bergmann : Nous allons prendre une ou deux questions du public. Merci de ne poser qu’une seule question et de vous présenter en même temps.

Dr Mona Kazim Shah (journalist VOA) : Merci de prendre ma question. Madame la Ministre, ma question porte sur le fait que la France est un allié de l’Arabie saoudite. Et ce pays a indiqué que la France allait entrer en récession suite à la décision de l’OPEP+. Les États-Unis sont en train de revoir leur relation avec l’Arabie saoudite, et vous êtes l’alliée des États-Unis. Est-ce que la France va également revoir sa relation avec l’Arabie saoudite ?

Q : Je vous remercie. Pardon si ma question se superpose à la vôtre, je rebondis sur ce que vous venez de dire sur l’Arabie saoudite, mais je voudrais savoir si la Russie est réellement isolée ou non. L’Arabie saoudite vient d’annoncer qu’elle souhaite rejoindre les BRICS, donc le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, pour créer leur propre monnaie commune comme moyen d’échange économique afin de ne plus être tributaires du système SWIFT, du dollar et de l’euro. N’est-ce pas là un signe que la Russie n’est pas vraiment isolée ? Que pensez-vous de la capacité des BRICS à compromettre l’hégémonie du dollar et de l’euro ?

Ministre Catherine Colonna : Je vous remercie. Alors, très brièvement, sur l’Arabie saoudite : je crois que cette décision a déçu de nombreux pays, y compris les États-Unis, surtout compte tenu de l’engagement pris par le président Biden envers l’Arabie saoudite il y a peu. Ce n’est pas non plus une bonne nouvelle pour le reste du monde, sur fond de guerre en Ukraine et de montée des prix énergétiques. Une nouvelle hausse de ces prix affectera l’économie mondiale dans son ensemble. Donc oui, il est nécessaire de poursuivre le dialogue avec l’Arabie saoudite. Mais elle n’est pas le seul pays de l’OPEP, donc nous devons aussi parler aux autre pays membres pour voir comment nous pouvons baisser les prix. Cela est nécessaire car nous avons besoin de plus de visibilité. L’une des idées principales qui est ressortie est celle d’un plafonnement des prix, mais elle est difficile à appliquer. Néanmoins, nous avançons sur la question. Quant à la seconde question, je pense que chacun de nous prend ses responsabilités. Nous avons adopté des sanctions qui ont perturbé la majeure partie du système financier russe, tout comme les États-Unis. Certains pays ont décidé de ne pas se prononcer à cet égard, ce qui n’est pas une attitude neutre. Et je peux citer les bons arguments développés en longueur par le président Macron à ce sujet lors de l’Assemblée générale des Nations Unies. Personne ne peut rester neutre car cette guerre touche absolument tous les pays du monde. Si vous permettez qu’un pays envahisse un autre pays sous prétexte qu’il n’est pas d’accord avec lui, cela signe la fin d’un ordre et le commencement du désordre pour tout le monde. Mais comme je l’ai dit, nous devons probablement tenir davantage compte des préoccupations de nos partenaires. Voilà.

Max Bergmann : Merci beaucoup Madame la Ministre. C’est une belle performance. Merci beaucoup. Vous pouvez de nouveau remercier la ministre avec moi, et lui souhaiter bon courage dans ses entretiens à Washington et dans la relation franco-américaine. Je vous remercie.

Informations complémentaires