Estonie - Conférence de presse conjointe de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, et d’Urmas Reinsalu, ministre des Affaires étrangères de la République d’Estonie

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Propos de Catherine Colonna (Tallinn, 25 octobre 2022)

Merci Monsieur le Ministre, cher Urmas,

Mesdames et Messieurs,

La concision balte était à l’œuvre, je vais me permettre d’être un peu plus longue pour vous présenter quelques aspects de ce dont nous avons parlé et ce que nous pensons ensemble et pour vous demander au préalable de bien vouloir me permettre de m’exprimer en français si le Ministre m’y autorise.
Merci de ton accueil et merci de ton accueil chaleureux.

Je suis effectivement heureuse de me retrouver ici à Tallinn où j’étais venue non seulement en effet en compagnie du Président de la République française, qui était alors Jacques Chirac, en visite d’État, il y a quelque temps en 2001, dix ans après -c’était la signification de cette visite- que votre pays recouvrait son indépendance.
Mais je suis venue aussi en 2006, il y a également quelque temps, en ma qualité, alors, de ministre déléguée aux Affaires européennes. Cela me fait toujours plaisir de revenir.

Je suis aujourd’hui dans une brève visite d’amitié, mais aussi de solidarité avec l’entretien que nous venons d’avoir avec le ministre et l’entretien que nous aurons tout à l’heure avec la Première ministre. En effet comme l’a dit le ministre, cette visite intervient à un moment particulièrement grave. Donc je veux redire devant vous avec force notre condamnation claire, absolue, de l’agression brutale, illégale et injustifiée de la Russie contre l’Ukraine, agression opérée le 24 février dernier et qui se poursuit. Et je veux appeler également à votre attention sur le fait que nous avons dénoncé tout récemment les allégations mensongères de la Russie concernant une soi-disant « bombe sale ». Allégations qui sont à la fois inexactes et très préoccupantes par ce qu’elles traduisent de l’attitude de la Russie et de son état d’esprit, Russie que nous appelons à avoir un comportement plus responsable.

La France est engagée fortement au côté de ses partenaires et de ses alliés. Elle contribue significativement au renforcement de la posture de l’OTAN sur le flanc oriental de l’Alliance en faveur de la sécurité et de la stabilité de l’Estonie, mais aussi de la région baltique d’une façon générale, de la Pologne et de la Roumanie.

Nous avons ainsi pris la décision de renforcer notre présence militaire en Estonie avec des équipements additionnels. Et de plus, là où nous étions présents en alternance avec le Danemark, nous sommes désormais présents de façon continue ; donc en ce moment avec notre partenaire danois mais aussi avec notre partenaire britannique. Je tenais également par cette visite à marquer toute la force de notre soutien politique, diplomatique et militaire à l’Estonie.
Un petit mot sur notre relation bilatérale qui s’appuie sur le partenariat stratégique signé il y a un an et demi. Le Président de la République lui-même l’avait souhaité. C’est un partenariat qui a donné une nouvelle dimension à notre relation, à notre tradition de coopération, laquelle est excellente. Mais nous avons encore beaucoup de choses à explorer, je pense.

J’ai remercié le ministre de l’engagement de son pays et de nos coopérations en particulier en Afrique et au Sahel où l’Estonie a été le premier partenaire européen à s’engager militairement aux côtés de la France pour apporter sa contribution à la stabilité et à la lutte contre les groupes terroristes armés. L’Estonie l’a fait depuis 2018 et a été pendant trois ans le seul pays européen engagé dans Barkhane et dans Takuba. Donc je tiens à remercier l’Estonie et dire aussi, Urmas, que nous ne l’oublierons pas, et que nous vous remercions de cet effet d’entraînement que vous avez permis sur les autres États membres de l’Union.

Nous avons bien sûr évoqué la situation en Ukraine, ce matin, et nous sommes déterminés à continuer à faire preuve de la plus grande fermeté face aux agissements de la Russie, notamment en renforçant encore, si c’est nécessaire, nos sanctions européennes, tu l’as dit, l’objectif de ces sanctions, et elles fonctionnent, étant d’entraver et si possible d’asphyxier l’effort de guerre russe. Donc nous avons déjà adopté huit paquets de sanctions, sans compter les mesures prises lundi dernier, après la découverte de l’utilisation de drones iraniens par les forces armées russes en Ukraine contre des infrastructures civiles et des objectifs civils, ce qui constitue, dois-je le rappeler un crime de guerre. Et puis d’autres mesures sont à l’étude, le Ministre l’a dit, tant à l’encontre de la Russie, pour le cas où ce serait nécessaire, que pour réagir éventuellement à une plus grande implication de la Biélorussie dans le conflit aux côtés de la Russie, ce que nous ne voulons pas voir et ce qui exposerait la Biélorussie à des sanctions supplémentaires.

Nous serons, vous le savez, mais je le répète, aux côtés de l’Ukraine aussi longtemps que nécessaire par un soutien qui est complet, qui est politique, diplomatique, économique, financier, humanitaire, mais aussi militaire.
Nos deux pays ont annoncé, au cours des dernières semaines, de nouvelles livraisons d’équipements militaires, de matériels, d’armements, au profit de l’Ukraine, tout en continuant d’appuyer au niveau européen l’adoption de mesures supplémentaires au titre de la Facilité européenne pour la paix. Nous avons décidé lundi dernier à Luxembourg une nouvelle tranche de 500 millions d’euros. Et aujourd’hui, la Facilité européenne pour la paix aide l’Ukraine à hauteur de trois milliards d’euros, qui seront complétés si cela est nécessaire.

Nous adoptons en permanence notre soutien aux besoins de l’Ukraine, c’est le fruit d’un dialogue avec les autorités ukrainiennes pour répondre à leurs besoins, notamment en matière de défense aérienne mais aussi sur le plan civil. Et avec le Ministre, nous avons évoqué le soutien que nos pays devront continuer d’apporter à l’Ukraine et peut-être devront renforcer sur le plan civil pour permettre à la population ukrainienne de faire face à l’hiver, alors même que la Russie cible et détruit une partie des infrastructures énergétiques de l’Ukraine. Nous devons penser que notre aide doit avoir un volet civil permettant d’aider la population à tenir cet hiver, et permettant aussi une certaine résilience du peuple ukrainien face à la pression russe.

Nous nous emploierons, comme nous l’avons fait jusqu’ici, à maintenir absolument l’unité des Européens. Une unité qui est la condition de notre efficacité et qui nous a permis jusqu’ici en effet d’être efficaces dans notre soutien à Kiev. Nous devons continuer d’être aussi efficaces, d’être aussi déterminés et aussi unis.

Nous avons également, je tiens à le dire, mentionné la nécessité dans laquelle nous nous trouvons de continuer à expliquer aux pays tiers, qui sont au-delà de l’Europe, et au-delà de nos alliés, dans la communauté internationale, appelés à prendre position lors de votes à l’Assemblée générale des Nations unies ou à d’autres occasions. Car il est important de rappeler encore et toujours que si cette guerre concerne au premier chef, bien sûr, l’Ukraine et le peuple ukrainien, si cette guerre a ramené un conflit sur le continent européen, elle soulève des questions qui sont d’intérêt pour l’ensemble des États de la communauté internationale. Parce ce qui est en jeu, c’est une tentative de porter atteinte aux principes les plus fondamentaux de la Charte des Nations unies : la souveraineté des États, le non-recours à la force, l’intégrité territoriale des États. Et ceci ne peut être bafoué impunément. Donc nous devons continuer à dire que cela concerne tous les États de la communauté internationale, qui ont tous un intérêt à faire respecter les principaux fondamentaux de la Charte.

Nous avons évoqué également les questions de lutte contre l’impunité. Il est important que les exactions et les crimes commis par la Russie en Ukraine ne restent pas impunis. Nous apportons notre soutien à titre national et en tant qu’Européens également à la justice ukrainienne. La France a envoyé plusieurs missions, vous vous en souvenez peut-être, d’enquêteurs spécialisés en Ukraine, à plusieurs reprises. Tout récemment encore, j’étais à Kiev pour l’arrivée de cette dernière équipe de gendarmes spécialisés. Nous soutenons l’action de la Cour pénale internationale par des moyens matériels et humains. Nous devons continuer de le faire parce que l’action criminelle de la Russie se poursuit et nous savons qu’il n’y aura pas de paix sans justice.

Nous avons également parlé des questions d’énergie, du prix de l’énergie. Mais le Conseil européen venant de se prononcer, je ne serai pas longue sur ce thème.
Voilà ce que je voulais vous dire. Je suis bien sûr comme le Ministre à votre disposition pour des questions.

Q - Two weeks ago, the President of the European Commission, U. von der Leyen was in Tallinn and she gave her support to an international tribunal for war crimes and also for aggression in Ukraine. You just mentioned that Russia’s appalling activities in Ukraine and the importance of UN principles. So do you support the creation of an international tribunal for war crimes and aggression? Because victims in Ukraine are hoping for comfort and accountability.

R - Merci beaucoup de votre question. Je me suis exprimée à plusieurs reprises sur ce sujet, tout récemment encore, à l’issue du Conseil des Affaires étrangères que nous avons tenu, il y a une dizaine de jours, à Luxembourg. Je rappelle brièvement, si vous le permettez, les principaux éléments de ma réponse et de notre position. Nous soutenons résolument, activement, concrètement la justice internationale parce que ces crimes ne doivent pas rester impunis. Les instruments qui sont aujourd’hui à notre disposition dans l’ordre international, c’est la justice ukrainienne ; je devrais ajouter les justices nationales, parce qu’un certain nombre de juridictions nationales sont saisies. C’est le cas en France d’ailleurs. Et nous aidons ces justices à faire leur travail en documentant les crimes, en aidant à ce que des preuves soient apportées.

L’autre instrument à notre disposition dans l’ordre international existant, c’est la Cour pénale internationale que nous aidons également, car elle doit pouvoir faire son travail, qualifier les crimes, procéder à des incriminations. Je dois rappeler que la Cour pénale internationale peut mettre en cause, non seulement les auteurs des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité, mais également les responsables, en remontant la chaîne hiérarchique.

Sur la question d’un tribunal spécial international, dont je parlais, il y a une dizaine de jours, en répondant à une question, nous ajoutons toujours qu’à ces instruments qui sont ceux qui sont à notre disposition pour lutter contre l’impunité, peuvent s’ajouter des réflexions sur d’autres instruments. Mais ils n’existent pas à l’heure actuelle, ils doivent avoir une réelle valeur ajoutée par rapport au dispositif juridique international qui existe en la matière, et ils doivent aussi avoir la légitimité nécessaire pour que leurs actions, si un tribunal devait être créé, puissent être jugées efficaces et légitimes. Nous n’en sommes pas encore là. Il y a des réflexions à ce sujet, nous en avons parlé d’ailleurs lors du Conseil européen, et pas seulement, à la presse ensuite. Pour le moment, voilà la situation, ces réflexions sont en cours, nous le savons. Nous ne devons rien faire cependant qui nuise à l’efficacité des instruments existants qui sont à la disposition de ceux qui veulent lutter contre l’impunité des crimes de guerre commis en Ukraine.

Q - My question would be about civilian help to Ukraine. As you can see, it’s already pretty cold in Estonia, it’s just october. It’s not typical but it might be a sign of a long and hard winter. So of course air defense is extremity important because I suppose one of the aims of Mr Putin when he makes his strikes against infrastructures is to make the life of Ukrainian people much harder. Are you ready for another wave of Ukrainian migrants, not only in France but in Estonia as well?
(…)

R - Merci, je réponds également si vous le souhaitez. Nous sommes préoccupés par l’arrivée de l’hiver. Et je suis tout à fait en accord avec ce que vient de dire le Ministre. Il faut les deux. Il faut à la fois aider l’Ukraine à se défendre, comme nous le faisons depuis le début, y compris en renforçant nos contributions militaires nationales et européennes, et celles de nos alliés. Nous le faisons au titre national par, nous l’avons annoncé, de nouvelles livraisons de missiles sol-air et sol-sol. Il y en avait déjà eu, nous avons de nouvelles livraisons annoncées.

Deuxièmement, il faut aider la population, les civils à tenir, à passer l’hiver, par de l’aide humanitaire concrète, de reconstruction d’urgence, de livraison d’équipements, y compris très concrètement d‘équipements de chauffage, de biens de première nécessité. J’ajoute que la France réfléchit activement, j’en ai parlé au Ministre, à compléter les actions et réflexions européennes et internationales en cours sur la reconstruction de l’Ukraine, sur la reconstruction de long terme de l’Ukraine par une conférence sur la reconstruction d’urgence pour cet hiver, des choses qui seraient efficaces à livrer sur le terrain à la population, dès cet hiver. Nous allons finaliser une proposition en ce sens, mais j’en ai parlé avec le Ministre. Le Président de la République l’avait brièvement évoqué, vendredi, lors de la conférence de presse suivant le Conseil européen. Je crois qu’il faut que nous coordonnions et combinions nos efforts pour aider les populations civiles ukrainiennes, vraiment dans les semaines et les mois qui viennent.

Mis à jour : octobre 2022

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