Conférence de presse conjointe de Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des affaires étrangères, avec son homologue, Sameh Shoukry - Propos de Catherine Colonna (Le Caire, 14 septembre 2023)

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"Merci beaucoup Monsieur le Ministre et cher Sameh, merci de votre accueil.
Merci aussi de votre invitation puisque, je vous le disais tout à l’heure, si vous êtes, je crois, le Premier ministre non-européen que j’avais vu peu après ma prise de fonction, nous nous sommes vus un peu partout, de Charm al-Cheikh à New-York, de New-York à Berlin… mais nous ne nous étions pas vus chez vous. Et donc je suis particulièrement heureuse d’être là aujourd’hui dans ce beau pays, qui est si important pour la France et important pour les équilibres de la région.

Je veux aussi dans mes premiers mots vous remercier et remercier le président Sissi de son accueil, vous remercier de votre hospitalité généreuse. Je sais que ce sont les traditions du peuple égyptien, mais j’ai eu la chance de pouvoir en bénéficier aujourd’hui et donc je suis sensible à cette attention que vous réservez toujours à mon pays et à ses représentants, qui sont à l’image des relations d’amitié que nos deux pays entretiennent.

Le président Sissi m’a fait l’honneur d’un entretien ce matin. Il s’était entretenu il y a quelques jours avec le Président Macron, à New Delhi, en marge du G20, et nous avions pu nous voir, le président et moi à Paris, en marge du sommet « Pour un nouveau pacte financier mondial » qui était réuni à Paris le 22 et le 23 juin, où il avait fait à la France et aux autres participants l’honneur de sa présence, mais aussi d’une participation active qui avait été particulièrement remarquée dans l’une des tables rondes que j’avais pu par ailleurs animer. Je lui ai rendu hommage d’avoir participé à ce mouvement de refondation de nos relations internationales et à tout ce qu’il convient de faire et de continuer de faire pour limiter les fractures entre, je dirais, ‘le Nord et le Sud’, même si les expressions sont discutables, et relever mieux ensemble les défis communs, qu’ils soient climatiques - c’était l’un des thèmes des réunions de Paris -, qu’ils soient d’une façon plus général e le développement et l’accès en particulier aux financements, qu’ils soient des financements internationaux, par le canal des institutions financières internationales ou des financements privées.

L’Égypte est un pays important pour la France et pour tous nos partenaires européens, bien sûr. Un partenaire historique, un partenaire stratégique, un partenaire de confiance. Et je veux ici le rappeler par cette modeste et trop brève visite en vous promettant de revenir, puisque je comprends que nous sommes invités, Monsieur le Ministre, pour l’inauguration prochaine du Grand Musée national égyptien. Donc ce serait une occasion à ne pas rater pour revenir vous voir et renforcer encore notre relation, cette relation qui nous unit déjà à tout niveau, politique, économique et culturel.

Il y a d’abord les sujets bilatéraux. Nous pouvons travailler ensemble à travers ces sujets aussi pour non seulement le bien de nos deux pays, mais peut être espérer l’étendre à la région. L’Égypte est au cœur de la Méditerranée. Je dis une évidence, je dis ce qui est ici une banalité et une évidence géographique : au carrefour de l’Afrique et du Moyen-Orient, Il y a l’Égypte. C’est une place géographique mais donc géostratégique que personne ne peut vous disputer. L’Égypte a un environnement immédiat par ailleurs compliqué, qui ne s’est pas simplifié ces dernières années, Monsieur le Ministre, je crois que l’on peut dire cela très diplomatiquement comme ça ; environnement dans lequel il est particulièrement important de pouvoir compter sur un pays qui est une puissance régionale, qui est une puissance de dialogue et de modération, une puissance qui cherche les solutions comme nous-même nous nous y efforçons. Et donc je rends hommage, à ce titre, au rôle que joue votre pays pour la paix.

Nous avons évoqué notamment les questions régionales immédiates : le processus de paix que l’on peine désormais à appeler ainsi, la question toujours difficile du traitement de pays du Proche-Orient mais aussi du Moyen-Orient, les évolutions qui sont en cours, la perspective du sommet de Bagdad à la fin de l’année, à la fin du mois de novembre. Je crois que vous trouverez en la France, Monsieur le Ministre, je veux le croire et mon pays s’y emploie, un partenaire qui veut apporter sa contribution à cet espace de coopération que nous devons impérativement construire pour que la région puisse trouver les moyens de son développement comme de sa stabilité.

Il y a trop de crises, trop de défis, mais nous essayons de les aborder en commun. Et il y a d’autres défis et d’autres tensions que celles que je viens d’évoquer brièvement et qui touchent la région. Nous avons parlé aussi, avec le président Sissi et avec vous-même, de la guerre en Ukraine et de ses conséquences, et des conséquences au fond de cette guerre sur les pays peut-être du monde entier. Évidemment, il s’agit d’abord et avant tout d’une guerre choisie par un grand pays, la Russie, qui plus est membre permanent du Conseil de sécurité, qui a l’obligation, à ce titre, non seulement de respecter la Charte des Nations unies, mais de veiller à son respect par tous, et pays qui a décidé d’agresser son voisin, de mener une guerre sans justification, sans provocation et de la mener avec des moyens d’ailleurs que le droit international comme la morale condamne. Bien sûr, il s’agit de l’existence même de l’Ukraine en tant que pays souverain, indépendant, maître de ses choix , maitre de son avenir, maitre de ses alliances. Mais il s’agit de bien plus que cela : il s’agit de permettre que les principes fondamentaux de la société internationale, ceux qui nous permettent de vivre en paix dans une relative stabilité, ne soient pas violés et qu’une agression ne soit pas récompensée alors qu’elle vient de mettre à mal chacun des principes fondamentaux du système international. Et à ce titre, nous sommes tous concernés, au-delà du continent européen dont la sécurité dépendra en partie de l’issue de cette guerre. Nous sommes affectés parce que ce sont les principes mêmes qui nous permettent de vivre ensemble qui sont en jeu. Et à plus court terme, vous le disiez Monsieur le Ministre, les conséquences négatives sur tous les pays du monde de la guerre d’agression qu’a choisie de faire la Russie nous touche : qu’il s’agisse de la hausse des prix, qu’il s’agisse de difficultés dans le domaine de l’énergie et de l‘approvisionnement, mais également volatilité extrême des prix, qu’il s’agisse de l’insécurité alimentaire, et votre pays le sait, qui a été cruellement affecté par la montée de l’insécurité alimentaire. Nous avons essayé, Monsieur le Ministre, d’être présents aux côtés de l’Union européenne, de vous permettre d’avoir accès à davantage des biens dont vous avez besoin. Notamment, nous avons pu doubler nos exportations de blé. Avec l’Union européenne, nous avons ce programme de rénovation de vos silos qui permet d’améliorer la situation. Mais, fondamentalement, je crois que nous devons voir que face à l’agression de la Russie, nous partageons le même intérêt qui est de lui demander de mettre fin à cette guerre qui fait souffrir l’ensemble des pays sous toutes les régions du monde, qui n’a pas de justifications et qui devrait s’arrêter, comme d’ailleurs la très grande majorité des États membres des Nations-Unies lui ont demandé, à plusieurs reprises, y compris avec la voix de nos pays.

Nous voulons être fidèles à nos amis. Monsieur le Ministre, j’espère que la France a été à vos côtés. Elle le restera, et je veux à cette occasion vous remercier d’avoir été à nos côtés, vous-mêmes en ami fidèle, quand la France a eu besoin de gaz, je parle très concrètement et très sincèrement, l’année dernière et que l’Égypte a répondu et a manifesté sa capacité à aider ses amis quand ils en avaient besoin. Nous sommes à vos côtés dans cette difficulté que j’espère temporaire, mais dont il faut traiter les causes, sinon nous serons toujours en train de courir après les conséquences.

Nous parlions de nos relations bilatérales. Je voudrais les évoquer en un mot de façon peut-être plus positive que ces crises que nous venons d’évoquer et auxquelles nous avons consacré une partie de nos entretiens. Elles sont excellentes, je crois, sur le plan politique. Elles se sont densifiées, elles ont progressé ces dernières années. Elles sont très bonnes aussi sur le plan économique. Nombre de nos entreprises sont là. Nous avons des domaines d’excellence traditionnelle bien connus. Je vais évoquer une nouvelle fois le métro. Et je rappelais, Monsieur le Ministre, à mes collaborateurs, comme on dit, hier, que je suis assez âgée dans ce métier pour me souvenir d’une visite du président Chirac, je pense que je parle des années 1998, où déjà un président français venait inaugurer une ligne de métro au Caire. Donc on a un partenariat historique, on va l’achever et le compléter avec la ligne 6 cette année, mais évidemment, nous sommes prêts à aller au-delà, nous pouvons aller au-delà, apporter nos expertises dans des secteurs d’excellence que sont la transition écologique, la ville durable, les infrastructures, bien sûr, mais tous ceux dont vous pourriez avoir besoin.

Et puis j’ai voulu ce matin rendre hommage aux coopérations et aux liens qui vont au-delà du politique et au-delà de l’économique : je parlais de la culture, de la langue, de l’éducation, de la jeunesse. Je me suis rendue dans un collège d’excellence, un collège qui forme la jeunesse égyptienne en français, peut-être au-delà du partage de la langue, à l’ouverture au monde, à la possibilité de penser la complexité du monde et donc de mieux répondre ensemble à tous les défis qu’il nous pose. Vous savez l’attachement que les Français - l’attachement, je devrais dire l’admiration, Monsieur le Ministre, l’admiration, je me reprends - que les Français ont pour la culture égyptienne. Je rappelais tout à l’heure l’immense succès de l’exposition Ramsès à La Villette, après l’immense succès de l’exposition Toutankhamon. Continuons d’œuvrer au rapprochement de nos peuples par ce dialogue des cultures et aussi par la francophonie. Nous vous accueillerons avec grand plaisir l’an prochain à Paris, à l’occasion du Sommet de la francophonie.

Et puis enfin, je veux rappeler l’attachement de mon pays aux valeurs universelles. Nous en avons parlé, nous en parlons à chaque fois. Ce que nous pensons, ce que nous défendons, c’est non pas de prétendues valeurs occidentales mais l’existence de valeurs universelles, d’aspirations partagées par tous les êtres humains quels qu’ils soient, où qu’ils soient, qu’il s’agisse de l’égalité des droits entre les femmes et les hommes, pour nous une grande cause des deux quinquennats du président Macron, ou tout simplement de l’égale dignité de la personne humaine. Nous avons parlé de cette dynamique, de cette dialectique, qui existe toujours depuis les débuts de la politique et de l’organisation de la Cité, je parle au sens aristotélicien du terme, entre l’expression politique d’un corps social et les aspirations de ce corps social. C’est une dynamique permanente, c’est un mouvement, mais je veux vous dire que je vous remercie de nous permettre d’avoir un dialogue amical et confiant toujours sur ce sujet, tout comme je veux publiquement saluer les pas qui ont été faits par l’Égypte avec sa stratégie nationale, avec le dialogue national, qui sont, vous l’avez dit Monsieur le Ministre, de premiers espaces de dialogue et qui doivent permettre, j’ai compris que c’était votre vœu, de développer aussi des pratiques vous menant plus loin. C’est un chemin. Nous l’avons suivi, et j’ai dit tout à l’heure au président Sissi, souvenez-vous, que nous nous souvenions très bien qu’il nous avait fallu dans mon pays et sur le continent européen longtemps, plusieurs siècles, pour suivre ce chemin et pour être arrivé aujourd’hui à un état qui est imparfait - si on demande aux Français, ils vous répondront que c’est un État imparfait -, mais un état de démocratie qui permet d’avoir l’adhésion de compatriotes à l’expression politique et à la forme politique de l’État. C’est une nécessité. Je pense vraiment qu’il faut que nous parions positivement sur l’avenir, et que nous voyons que ce sont ces formes d’adhésion à l’expression politique que se donne un pays qui permettent et la force, et la résilience, et le développement économique du pays. Donc, sur cette voie, nous vous encourageons, je le redis, saluer les efforts qui ont été faits par l’Égypte grâce à ces nouveaux mécanismes.

Voilà Monsieur le Ministre. Merci de votre accueil. Merci de veiller à entretenir, comme nous le faisons, cette relation forte avec la France, et je dirai si particulière, unique. Croyez en tout cas que pour nous dans notre cœur elle l’est vraiment. Croyez aussi que nous voulons faire davantage encore avec l’Égypte.

Je vous remercie, Monsieur le Ministre.

R - Monsieur le Ministre, si vous permettez, je complète votre réponse. Pas pour vous corriger, cher Sameh, surtout pas, mais pour compléter, puisque vous évoquez mon pays, Monsieur, et je vais tout à fait vous confirmer ce qu’a dit Monsieur le Ministre. C’est-à-dire la disponibilité de la France, en prenant en compte le contexte économique particulier et difficile dans lequel se trouve l’Égypte, à l’accompagner dans son dialogue avec les institutions financières internationales, à l’aider si elle le peut, mais aussi à trouver ensemble des réponses dans la suite du Sommet de Paris, dans la suite du tout récent G20 qui a également demandé de suivre cette direction permettant un meilleur traitement de la dette d’une part, un meilleur accès surtout aux financements internationaux, publics et privés. Et nous sommes disposés aussi, bien sûr, à accompagner l’Égypte pour un accroissement des investissements dans ce pays qui permettront, parce que le secteur privé a son rôle à jouer. La diversification de l’économie sera une richesse pour l’Égypte et nous serions heureux de jouer notre rôle là-aussi.

Q - On a appris cette nuit la libération de Stéphane Julien au Niger, on sait que les relations sont tendues entre la France et le Niger. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage sur les conditions de cette libération ? Est-ce qu’il était considéré comme otage ?

R - Vous l’avez appris ce matin, Madame, nous l’avons confirmé en effet, je l’avais appris hier soir : il a été libéré. Il était arrêté pour des raisons que nous avions contestées, qui n’ont pas tenues manifestement aux yeux mêmes de ceux qui l’avaient arrêté, et donc il a été fort heureusement libéré assez peu de temps d’ailleurs, je l’observe, après que nous ayons demandé sa libération immédiate. C’est une bonne chose, je n’en dirai pas plus. Il n’y a pas lieu d’en dire davantage.

Q - Bonjour Madame la Ministre, Justine Babin pour le quotidien « Les Echos ». Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Égypte est parvenue, il me semble, à substituer une partie de ses importations de céréales de l’Ukraine par des importations de céréales de Russie, relativement bon marché. Donc on peut penser que peut-être la suspension de l’accord céréalier, enfin la reprise de l’accord céréalier, n’est peut-être pas l’une des principales priorités pour l’Égypte. Malgré tout, c’était je pense un de vos sujets de discussions bilatérales. Qu’est-ce que la France attend comme effort de la part de l’Égypte pour peut-être entrer en contact avec la Russie et pousser la Russie à réactiver cet accord ?

R - Madame, d’abord il faut relever que l’Égypte n’est pas le pays qui est à l’origine de la suspension de cet accord. Ce pays est connu, il s’agit de la Russie. Et j’ajoute même que l’Égypte fait partie des pays qui souffrent et de la suspension de l’accord et de la guerre faite par la Russie en Ukraine, comme j’ai tenté de l’expliquer tout à l’heure, en tout cas de l’exposer avec mes mots. Mais pour bien faire mesurer qu’au-delà du sort de l’Ukraine et au-delà de la stabilité et de la sécurité du continent européen, ce qui est en jeu est un ordre dont nous avons tous besoin, mais c’est aussi une arme cynique utilisée par la Russie vis-à-vis de pays qui ont besoin, en provenance d’Ukraine comme en provenance de la Russie, de biens de première nécessité et dont la Russie les prive par la suspension de cet accord comme par le simple fait revenant au fait générateur de la guerre qu’elle a décidée, qu’elle fait et qu’elle entretient. Donc nous attendons de l’Égypte rien d’autre, rien d’autre que le fait qu’elle puisse trouver des partenaires comme l’Union européenne, comme la France, comme d’autres, j’en suis sûre, qui sont prêts à l’aider, à sortir de cette difficulté à l’origine de laquelle elle n’est pas, dont elle n’est en rien responsable, et dont elle est victime collatérale comme tant et tant d’autres pays. Cela aussi j’ai essayé de l’expliquer tout à l’heure pour montrer que nous avions des intérêts communs, quelque soient d’ailleurs les raisons et quelque soient les régions du monde, à demander à la Russie de faire ce que l’Assemblée générale des Nations unies lui a demandé, à plusieurs reprises, à une écrasante majorité, avec les voix de nos pays, je l’ai rappelé, c’est-à-dire de mettre fin à cette guerre, de retirer ses troupes et de respecter intégralement la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine. La question que vous posez ne se poserait pas si la Russie n’avait pas décidé d’attaquer l’Ukraine."

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