Entretien de Catherine Colonna dans le journal Fraternité Matin : "Nous croyons dans les atouts de la Côte d’Ivoire" (09 décembre 2022)

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Madame la Ministre, quelles sont les raisons de votre visite et pourquoi la Côte d’Ivoire comme première visite officielle en Afrique ?

Le choix de la Côte d’Ivoire est un choix de cœur comme de raison : il reflète l’excellence des relations entre nos deux pays et les liens étroits qui unissent nos deux peuples.

C’est ma première visite officielle en Afrique depuis ma prise de fonction bien que j’ai déjà eu l’occasion de me rendre au Niger avec le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, en juillet dernier, et l’honneur de participer au récent déplacement du président de la République au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau.

J’ai un programme très dense durant ces deux jours. Je suis aujourd’hui reçue par votre Président, M. Alassane Dramane Ouattara, et mon homologue, Mme Kandia Kamissoko Camara. Je verrai également le Ministre d’État, Ministre de la défense, M. Téné Birahima Ouattara demain et je rencontrerai, dans la bibliothèque 1949 que l’écrivaine Edwige Dro a créée au cœur de Yopougon, des artistes, des intellectuels, des entrepreneurs et des acteurs la société civile ivoirienne avec le Ministre de la promotion de la jeunesse, de l’emploi des jeunes, de l’insertion professionnelle et du service civique, M. Mamadou Touré.

La France est un partenaire privilégié de la Côte d’Ivoire, pays avec lequel elle entretient de bonnes relations. À quel niveau se trouvent justement ces relations ?

Le partenariat franco-ivoirien couvre des domaines très variés : l’économie, le développement, la culture, le sport, le soutien à la formation professionnelle et à l’entreprenariat, la sécurité.

La densité de notre relation passe tout d’abord par nos liens humains très étroits, grâce à nos diasporas : 100 000 Ivoiriens vivent en France, et plus de 20 000 Français vivent en Côte d’Ivoire. C’est avant tout cela la force de notre partenariat.

Nos pays entretiennent aussi un dialogue constant sur toutes les questions régionales et internationales. Nous condamnons d’une seule voix la guerre d’agression russe contre l’Ukraine, ou encore les coups d’État qui ont frappé la région ces dernières années !

Par ailleurs, la France est le premier investisseur en Côte d’Ivoire, avec 840 entreprises présentes dans le pays, qui créent de très nombreux emplois. La Côte d’Ivoire est une économie florissante, en laquelle nous croyons et que nous voulons accompagner sur la voie de l’émergence.

Nous coopérons également dans la lutte contre le terrorisme, qui a tant endeuillé nos deux pays ces dernières années. Nous avons construit ensemble une Académie internationale de lutte contre le terrorisme, qui se trouve en Côte d’Ivoire, et qui a déjà formé plus de 900 stagiaires depuis son lancement en 2021.

L’Institut français d’Abidjan accueille enfin chaque année une centaine d’événements culturels ivoiriens, et nous soutenons la diffusion d’artistes ivoiriens en France, où ils connaissent un immense succès.

Nos liens sont profonds et solides. Au fil de l’Histoire, nous avons appris à les renouveler pour les renforcer.

Quels sont les domaines prioritaires dans lesquels la France intervient en Côte d’Ivoire ?

Notre coopération touche des domaines concrets : promotion de la formation, de l’emploi, accès à l’éducation, à la santé, aux infrastructures…

La France est le premier partenaire de la Côte d’Ivoire en matière de coopération, avec 4,9 milliards d’euros d’investissement public pour la période 2021-2025. Je vous l’ai dit, nous croyons dans les atouts de votre pays.

Les résultats sont très concrets : nous avons agi dans les domaines de l’accès à l’eau potable pour 1,7 millions d’Ivoiriens, nous avons investi dans 200 km de routes et une centaine d’établissement de santé, nous avons accompagné dans la construction et l’équipement de 115 écoles et 98 collèges. Nous investissons aussi dans les talents ivoiriens avec la formation des enseignants, des personnels de santé et des agronomes.

D’autres secteurs essentiels pour l’avenir de la jeunesse sont dorénavant prioritaires : l’entreprenariat, les nouvelles technologies le sport, et les industries culturelles et créatives.

J’aurai l’occasion de rencontrer de nombreuses personnalités du monde culturel ivoirien dès ce soir et je suis heureuse d’avoir ces échanges ouverts et directs avec elles au cours de ma visite.

Quelle est votre analyse de la situation au Sahel ? Au Burkina-Faso ?

Je suis inquiète de l’expansion des groupes terroristes, et des coups d’État qui ont frappé l’Afrique de l’Ouest ces dernières années. Je suis également très préoccupée par les violences contre les populations civiles et en particulier les exactions commises par Wagner, hélas incontestables et largement documentées par les rapports de l’ONU.

La CEDEAO et l’Union africaine s’organisent pour défendre la démocratie en Afrique. Je souhaite aux populations malienne, burkinabé et guinéenne que leurs pays retrouvent rapidement le chemin des élections, de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Comme vous l’avez vu, nous avons mis fin à l’opération Barkhane, car les conditions politiques de notre engagement militaire au Mali n’étaient plus réunies. Nous continuons bien sûr à soutenir nos partenaires ouest-africains en matière de défense et de sécurité, mais différemment : plus en appui, moins en première ligne.

Pour en revenir à votre question plus précise sur le Burkina Faso, les attaques qui ont eu lieu à deux reprises contre l’ambassade de France à Ouagadougou sont inacceptables. Nous attendons des autorités de transition burkinabé qu’elles assurent la sécurité des emprises diplomatiques, conformément au droit international. Je suis très attentive à l’évolution de la situation.

Comment percevez-vous la montée du sentiment anti-français en Afrique de l’Ouest ?

Remettons les choses à leur place : le sentiment anti-français peut exister, j’en ai bien conscience, mais il est instrumentalisé et amplifié par des individus ou des entités bien identifiés, qui manipulent les réseaux sociaux, créent des faux comptes et diffusent de fausses informations. Ils trompent la population. Bien souvent en appui de régimes autocratiques, eux-mêmes à la main de puissances étrangères. Il ne faut pas penser que c’est spontané.

Nous savons qui est derrière ces attaques anti-françaises sur les réseaux sociaux, nous ne sommes pas dupes. Nous y répondons de deux manières. D’abord, en luttant contre les "fake news" et en rétablissant la vérité des faits. Ensuite, en menant un dialogue étroit avec la jeunesse africaine, pour expliquer que nous avons changé des deux côtés depuis longtemps et que nous sommes aujourd’hui dans un partenariat d’égal à égal, respectueux de la souveraineté des États. Nous soutenons les efforts de nos partenaires en matière de formation, d’emploi, d’innovation et de développement. Notre priorité est de soutenir le potentiel de la jeunesse africaine.

Vous étiez à la COP27, face à la gravité du phénomène climatique, pensez-vous que le niveau de prise de conscience est le même parlant des pays du Nord et ceux du Sud ?

Oui, en effet, j’étais à la COP27 avec le président de la République. Si l’accord de la COP27 n’est pas à la hauteur des ambitions que portaient la France et l’Union européenne, notamment s’agissant de l’atténuation, il préserve l’essentiel : il rappelle l’objectif de limiter le réchauffement climatique à 1,5° C et appelle les pays à des efforts supplémentaires dès 2023. Réaffirmer cet objectif était important dans le contexte mondial de crise climatique et énergétique qui découle de l’agression de la Russie en Ukraine.

Comme l’a rappelé le Président Emmanuel Macron à la COP27, pour les pays du Sud que vous mentionnez, la question de la solidarité vis-à-vis des pays les plus exposés au changement climatique est incontournable. C’est pourquoi la France a souhaité en faire une priorité. Nous organiserons à Paris un Sommet sur la solidarité l’été prochain, et ce sujet sera au cœur des débats. Nous devons aborder le sujet dans son ensemble et viser la création de nouveaux outils de financement, qui ne se réduisent pas à un fonds, mais offrent une mosaïque de solutions concrètes pour répondre aux besoins des pays les plus vulnérables impactés par des événements climatiques. L’accord à la COP prévoit ainsi la mobilisation de la Banque mondiale et du FMI, ainsi que des banques multinationales de développement. Il recommande la mise en œuvre de financements innovants auxquels tous les pays peuvent contribuer. C’est une avancée majeure que nous ne pouvons que saluer.

On vous sait engagée dans les domaines culturels et sportifs, vous allez d’ailleurs remettre la médaille de chevalier des arts et lettres à la styliste Maureen Ayité et rencontrer la communauté artistique ivoirienne – pourquoi cet engagement ?

À côté des entretiens officiels qui restent très importants, je souhaite mettre en avant, accompagner et soutenir le travail des sportifs, des créateurs et des artistes ivoiriens. Car ils ont un immense potentiel. Nous avons beaucoup à construire ensemble dans ces secteurs d’avenir.

Je suis très heureuse de décorer ce soir Maureen Ayité, créatrice et entrepreneuse de grand talent, fondatrice de Nanawax, qui rencontre un immense succès dans le monde entier. En créant de beaux vêtements, en mettant en valeur la richesse des métiers d’art et des tissus africains, elle a inventé un style unique, à la fois africain et cosmopolite.

Grâce à la mode, grâce à la musique, et à la littérature, nous pouvons créer des ponts entre l’Afrique et l’Europe, réinventer de nouvelles relations et faire émerger de nouveaux imaginaires.

Je suis également heureuse de décorer cette femme artiste et entrepreneuse, car nos petites filles, en France comme en Côte d’Ivoire, ont besoin de modèles, elles ont besoin de savoir que c’est possible de créer et de réussir !

Je remettrai également demain le prix franco-allemand des droits de l’Homme à Méganne Boho, une femme exceptionnelle, présidente de la Ligue ivoirienne des droits de femmes, et initiatrice du mouvement #MeeToo en Afrique de l’Ouest grâce au hashtag #vraiefemmeafricaine. À travers elle, je veux apporter mon soutien à toutes les Ivoiriennes et les Ivoiriens qui luttent contre les violences sexuelles et sexistes. C’est un combat prioritaire.

Que faites-vous pour le soutien à l’emploi des jeunes et à l’entreprenariat ?

L’investissement dans la jeunesse, j’y crois. Nous devons aller plus vite et plus fort pour instaurer ensemble une vraie dynamique. Elle sera portée par des initiatives comme « Choose Africa » qui a permis de financer des dizaines de milliers d’entreprises africaines ou encore « Digital Africa » qui soutient la création et le développement des start- up. En Côte d’Ivoire, depuis 2018, nous avons financé les start-up et les petites entreprises ivoiriennes à hauteur de 245 millions d’euros. Ce sont de beaux résultats !

Notre action se concentre aussi sur le développement des petites entreprises et sur la structuration de réseaux d’entrepreneurs entre les pays africains et avec la France. Les synergies doivent jouer à plein.

Enfin, notre action passe bien sûr par l’enseignement avec le « hub franco-ivoirien pour l’éducation », inauguré en octobre 2018 à Yamoussoukro, qui constitue la plus grande plateforme universitaire de la région avec plus de 90 formations adaptées au besoin du marché et bénéficiant à près de 2 800 étudiants. Nos relations ont beaucoup d’avenir, vous le voyez !

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