Cosaques d’Ukraine

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E. Melchior de Vogüe. Mazepa. La légende et l’histoire
Paris : Calmann-Lévy, 1889. 365 p. ; in-16°

© Archives du ministère des Affaires étrangères, Bibliothèque, 20 B 49

Issu d’une famille de diplomates, Eugène Melchior de Vogüe, introducteur de Dostoïevski en France, consacre un essai à Mazepa, non sans rappeler d’abord que Voltaire avant lui, dans la Vie de Charles XII et Victor Hugo, dans les Orientales, se sont saisis de la légende de l’hetman. En effet, Mazepa est une figure fascinante. Né en 1639 sur la rive gauche du Dniepr, il mène une vie pleine de rebondissements politiques et de hauts faits d’armes qui le conduisent de l’Ukraine à la Pologne, de Kiev à Azov jusqu’à la Moldavie où sa mort en exil achève de lui conférer une aura d’héros romantique. Noble ukrainien, il reçoit une éducation soignée, maîtrise l’italien, le français et l’allemand, cite Horace et Ovide par cœur. Diplomate, jamais avare de volte-face et de tractations secrètes, il pousse les intérêts de son pays face aux appétits de la république polonaise et lituanienne, de l’empire russe, de l’empire ottoman. Son intelligence et sa souplesse lui permettent d’être élu hetman des deux rives du Dniepr sous l’égide du pouvoir russe. Il se met au service du tsar Pierre le Grand, conduit en son nom des offensives victorieuses contre les Turcs et en tire un prestige qu’il met au service de ses cosaques : habile gestionnaire, il développe l’économie de ses territoires, se fait mécène de l’instruction et des arts, agit en protecteur de l’Eglise orthodoxe. La volonté de Pierre de mettre fin à l’autonomie du hetmanat précipite sa chute. Mazepa ne peut supporter une telle perspective. Il rejoint l’ennemi juré de Pierre, le roi de Suède Charles XII de Suède. La bataille de Poltava (1709) est une déroute pour les Suédois et leurs alliés cosaques. Mazepa meurt la même année. Traître aux yeux des Russes, sa volonté farouche fera de lui un symbole de la nation ukrainienne.


Byron’s poetical Works
London : John Murray, 1873. 685 p. ; in-12°

© Archives du ministère des Affaires étrangères, Bibliothèque, 40 Ax 47

Si le poème Mazeppa s’attache à un épisode de la légende populaire d’Ivan Mazepa, il n’est pas sans faire écho à l’existence tumultueuse de son auteur, Lord Byron, figure de proue du romantisme de langue anglaise. Page à la cour du roi de Pologne Jean II Casimir, Mazepa est surpris en flagrant délit d’adultère. Il est ligoté, nu, enduit de goudron, sur un cheval sauvage qui l’emporte. Les cosaques le recueillent et, séduits par son autorité et ses dons, en font leur maître. Lire ce poème, c’est y entendre les échos de la vie du jeune lord, ses amours tumultueuses, le scandale provoqué par ses infidélités à répétition, son exil forcé d’Angleterre en 1816 (trois ans avant la composition du poème), sa quête de reconnaissance et ses aspirations à la gloire. C’est aussi éprouver le pouvoir des mots qui font du héros national ukrainien une figure littéraire et qui place l’Ukraine sur la carte de l’Europe romantique.


Témoignage sur la bataille de Poltava. Lettre à l’ambassadeur de France en Suède. Léopol, 31 juillet 1709
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Correspondance politique Suède, 123CP120, fol. 207

Image Diaporama - Carte de l'Est de l'Ukraine et du Sud-Ouest de (...)
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"Le Roy de Suède a passé le Borysthène (….) ce prince a été suivi par Mazeppa (…) les suédois ont mis bas les armes … »
Personnage légendaire, Ivan Mazepa (1639-1709) a, à l’ère romantique, représenté un motif d’inspiration pour les écrivains. Il apparaît aussi fugacement dans les correspondances diplomatiques, comme ici, dans ce récit de la bataille de Poltava.


Extrait du Journal de Philippe Orlyk
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et Documents Pologne, 38MD7

Image Diaporama - Extrait du Journal de Philippe Orlyk
Image Diaporama - Extrait du Journal de Philippe Orlyk

La biographie de Pylyp Orlyk (1672-1742) a été retracée dès la fin du XIXe siècle (ouvrage de A. Petrouchevytch paru à Lviv en 1872) mais c’est à Elie Borschak, réfugié ukrainien en France dans les années 1920-1930 devenu professeur à l’Ecole des langues orientales que l’on doit une connaissance approfondie du personnage à travers nombre d’articles, et la découverte du « Diariuche » aux Archives du ministère des Affaires étrangères. Le Journal, qui couvre cinq volumes de la série Mémoires et Documents (38MD/7 à 11) est en fait une collection de correspondances diverses rédigées, notamment, en latin et polonais, mais aussi en français entre 1720 et 1733. En tête du journal, des bénédictions en langue latine destinées à assurer à l’auteur la protection divine et à favoriser ses entreprises.
Proche de l’hetman Yvan Mazepa aux côtés duquel il rallia les troupes de Charles XII de Suède, Orlyk s’enfuit à l’étranger après la défaite de Poltava contre les Russes (1709) puis fut élu hetman à Bender après la mort de Mazepa, dont il poursuivit la politique visant à libérer l’Ukraine de l’emprise russe.
Depuis l’indépendance en 1991, de très nombreuses études ont été publiées exaltant Orlyk en tant que héraut de la première émigration politique ukrainienne puis comme ardent défenseur de la « démocratie guerrière » cosaque et fondateur de la première Constitution. C’est sans doute par l’intermédiaire de son fils, Grégoire Orlyk, entré au service de Louis XV, que le Diariuche est entré aux dépôt des Archives. Il a donné lieu, en 2013, à une publication en fac-similé par les éditions ukrainiennes Tempora et fait actuellement l’objet d’un nouveau projet d’édition critique mené par l’université de Varsovie sous la direction de la Professeure Walentyna Sobol.


Projet pour une levée de troupes cosaques. 1735
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents Russie, 43MD30, fol. 4-9

Jusqu’au renversement des alliances en 1756, point de bascule majeur où la France se rapproche de l’Autriche, la diplomatie française s’efforce de renforcer son influence au nord, vers la Suède et sur les confins orientaux, vers la Pologne et l’empire Ottoman, une politique que menace la montée en puissance de la Russie depuis Pierre le Grand. Dans ce contexte, le peuple cosaque, connu pour ses qualités guerrières et ses aspirations à l’autonomie, présente, pour la diplomatie française, un double intérêt , comme facteur de diversion à l’Est ou comme renfort de troupes aguerries pour l’armée française, et ce d’autant plus que Philippe Orlyk en fuite après Poltava cherche de son côté des appuis pour reconstituer une armée.
Si la France a pu jouer cette carte ukrainienne, c’est essentiellement grâce aux contacts directs noués à Varsovie par l’ambassadeur Monti avec le fils de Pylip, Grégoire (Hryhor) Orlyk (1702-1759), qui a suivi son père dans son exil, en Suède, en Turquie, en Pologne. Engagé dans diverses missions secrètes, notamment en Turquie pour provoquer une coalition anti russe entre les Ottomans et les Tartares, Grégoire Orlyk voit son rôle grandir lors de la guerre de succession de Pologne, lorsqu’il est chargé de raccompagner Stanislas Leszczynski de Königsberg vers la France. Les très nombreuses correspondances diplomatiques attestent de son action qui, si elle fut loin d’être insignifiante, n’en fit cependant pas, selon sa dernière biographe, Iryna Dmytrychyn, un conseiller proche de Louis XV (son entrée au Secret du Roi n’est pas certaine et l’intention du Roi d’en faire son ambassadeur à Constantinople relève de la légende). Totalement acclimaté à la France, époux d’une française et entré dans l’armée (il mourut en 1759 pendant les opérations de la guerre de Sept ans) tout en restant un défenseur fidèle des libertés cosaques, connu de Voltaire qu’il conseilla pour son histoire de Charles XII, le personnage exerce encore son pouvoir de fascination.


Observations sur les cosaques Czaporoviens. 1766
© Archives du ministère des Affaires étrangères, Mémoires et documents Russie, 43MD1, fol. 225-226

Image Diaporama - Observations sur les cosaques Czaporoviens. (...)
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Après la guerre de Sept Ans, le peuple cosaque continue de susciter l’intérêt de la diplomatie française, désormais comme agent de diversion contre la Russie. Ce mémoire, qui aurait été rédigé par ou à la demande de Vergennes, alors ambassadeur à Constantinople, développe les atouts que peuvent présenter, pour la France, ces Cosaques Zaporogues, une "nation libre" passée successivement sous la "protection" de la Pologne, du Khan des Tartares puis de la Russie qui pourrait s’alarmer de ses aspirations à l’indépendance …


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