Les pionniers de l’étude des langues berbères

Partager

Longtemps, peu de linguistes ont manifesté de l’intérêt pour les langues berbères. L’arabe, le turc ou le persan étaient à l’honneur mais chleuh, tachelhit du Maroc, kabyle, taqbaylit d’Algérie ou encore touareg, tamacheq du Sahara-Sahel, étaient largement ignorés.
Voici quelques jalons historiques dans l’étude de ces langues.

Jean-Michel Venture de Paradis (1739-1799) apparait comme l’un des premiers à avoir étudié les langues berbères. Né à Marseille, dès ses 15 ans, il est envoyé à Constantinople parfaire sa connaissance du turc. Après divers séjours comme drogman en Egypte, au Maroc, à Tunis, il devient en 1781 secrétaire interprète de Louis XVI au ministère des Affaires étrangères.
Envoyé à Alger en mission en 1788, il profite de son séjour pour rédiger une Grammaire et dictionnaire abrégés de la langue berbère. A son retour à Paris, en 1790, il remet son manuscrit à Volney qui va le déposer à la Bibliothèque royale.
Mais la carrière de Venture de Paradis n’est pas finie. Il retourne encore 4 ans à Constantinople, il est professeur de turc à l’Ecole des langues orientales vivantes, il est choisi par Bonaparte pour l’accompagner comme premier secrétaire interprète pendant l’expédition d’Egypte et il participe enfin à l’expédition de Syrie lors de laquelle il perdra la vie.
Rédigé entre 1788 et 1790 son ouvrage, Grammaire et dictionnaire abrégés de la langue berbère, ne paraitra pourtant que 54 ans plus tard, la récente conquête de l’Algérie nécessitant une meilleure connaissance du pays. L’impression de l’ouvrage est confiée à Amédée Jaubert (1779-1847), diplomate et orientaliste qui a, tout comme Venture, participé à l’expédition d’Egypte. Il était d’ailleurs interprète adjoint de Venture de Paradis et, à la mort de ce dernier, il le remplacera comme premier interprète de Bonaparte.
Première pierre dans la connaissance des langues berbères, l’œuvre de Venture de Paradis est encore citée par la communauté scientifique des linguistes dans les années 1930.

Illust: Grammaire et diction, 119 ko, 350x500
Grammaire et dictionnaire abrégés de la langue berbère / Jean-Michel de Venture de Paradis. Paris : Imprimerie royale, 1844. Bibliothèque, 84 Fz 13. Archives diplomatiques

Saïd ben Mohammed-Akli Cid Kaoui (1859-1910) fréquente dans sa jeunesse l’école primaire française en Algérie dans la ville de Bougie (actuelle Bejaïa) avant de poursuivre ses études au lycée de Constantine. En 1877, à 18 ans, il s’enrôle dans l’armée dans le 1er régiment de spahis qu’il quittera vers 1880 pour suivre une année d’études de médecine avant de choisir un cours d’interprète. En 1886, il rejoint le corps des interprètes militaires et ne le quittera que pour prendre sa retraite en 1908.
En 1884, pendant qu’il prépare ses examens pour intégrer le corps des interprètes militaires, il est désigné en qualité de juré aux examens de berbère. C’est alors qu’il a l’idée de réaliser deux dictionnaires : un dictionnaire de kabyle et un dictionnaire de touareg. Nommé au poste de Ouargla en 1888, il ne peut achever son dictionnaire kabyle mais, en revanche, il a la possibilité d’enrichir considérablement son dictionnaire français-tamâheq grâce à la présence, dans les environs de Ouargla, de parfaits locuteurs de cette langue.
Son dictionnaire est achevé en 1890 et publié en 1894. En 1900, une version abrégée sort en librairie et, en 1907, Cid Kaoui fait paraitre un nouveau dictionnaire consacré cette fois aux langues berbères du Maroc.
Membre de la Société historique algérienne, chevalier de la Légion d’honneur, Cid Kaoui remporte une médaille de bronze lors de l’Exposition universelle de 1900 pour ses dictionnaires.
L’exemplaire de son Dictionnaire français-tamâheq conservé à la bibliothèque du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères présente 2 particularités.
Tout d’abord, il est dédicacé par l’auteur à Jules Cambon (1845-1935), gouverneur général d’Algérie de 1891 à 1897. Ensuite, il s’agit d’un ouvrage autographié, procédé fréquemment utilisé au 19e siècle qui permettait, avant l’invention de la photocopieuse, de reproduire des textes manuscrits.

Illust: Dictionnaire pratiqu, 101.8 ko, 349x500
Dictionnaire pratique Français-Tamâheq (langue des Touareg) / S. Cid Kaoui. Paris : Jourdan, 1894. Bibliothèque, 84 A 3. Archives diplomatiques

Après des études en Algérie et en France, André Basset (1895-1956) est agrégé de grammaire en 1922. Il est nommé professeur dans un lycée à Rabat puis directeur d’études à l’Institut des Hautes Etudes Marocaines. Après avoir soutenu ses deux thèses (La langue berbère – Morphologie, le verbe et Etudes de géographie linguistique en Kabylie), il est nommé professeur à la faculté d’Alger où il occupe la chaire de langue et civilisation berbères tout juste créée. Il y restera jusqu’au moment où il rejoindra à Paris l’Ecole des langues orientales.
Son apport à la recherche sur les langues berbères est très important notamment en phonétique et phonologie et sa thèse de 1929 sur les verbes a permis de profondément renouveler la connaissance du système verbal berbère, très éloigné du système des temps français.
L’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO) a organisé, en mars 2017, le premier colloque international de linguistique berbère… en hommage à André Basset.

Illust: La langue berbère :, 80.5 ko, 350x500
La langue berbère : morphologie : le verbe : étude de thèmes / André Basset. Paris : Leroux, 1929. Bibliothèque, 54 Az 11. Archives diplomatiques