Vers la fin de l’expérimentation animale ?

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Israël

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Israël | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
11 décembre 2015

A l’heure actuelle, les modèles animaux sont à la fois indispensables et insuffisants pour évaluer la toxicité et les effets de nouvelles thérapies sur le corps humain. Une équipe de l’Université Hébraïque de Jérusalem, en collaboration avec l’institut Fraunhofer Allemagne et sous la tutelle du Pr Yaakov Nahmias, propose une nouvelle alternative aux modèles animaux : l’expérimentation sur des nano-organes humains, sur puce.

De la nécessité de nouveaux tests

Le travail sur des modèles animaux est une étape incontournable de la recherche scientifique. Tout travail est plus crédible quand les résultats ont été montrés in vivo, et dès qu’il s’agit de mettre au point des produits médicaux ou cosmétiques, les tests sur des animaux sont un passage obligé. Toutefois, l’utilisation de ces tests pour prédire les réactions de l’organisme humain est toujours douteuse et les modèles animaux sont insuffisants pour prédire la toxicité des composés étudiés chez l’homme.

Et quand bien même on voudrait malgré tout utiliser ces modèles, ceci est devenu impossible dans certains cas. En effet, depuis le 11 mars 2013 il est interdit de tester des produits cosmétiques ou leurs ingrédients sur des animaux, dans toute l’Union Européenne.

De nouvelles techniques doivent donc être mises au point pour remplacer par des tests plus fiables l’expérimentation animale, insuffisante de façon générale et qui plus est interdite dans certains domaines. En particulier, il est nécessaire de trouver une alternative aux tests de toxicité due à une exposition répétée, qui se font quasi-exclusivement sur des animaux : il s’agit d’exposer ces derniers pendant un mois au produit étudié et d’évaluer les éventuels dommages au niveau des tissus et de l’expression génétique. Bien que ces tests soient encore utilisables pour la recherche médicale, ils ne sont pas satisfaisants. En effet, mis à part le fait que les résultats obtenus sur des animaux ne sont jamais complètement applicables à l’homme, les tests sur des animaux ne permettent pas une analyse cinétique des effets observés. Or cette analyse temporelle est indispensable si l’on veut comprendre les mécanismes biologiques mis en jeu.

Les organoïdes sur puce

L’alternative la plus simple à l’expérimentation animale serait d’effectuer les tests sur des cellules humaines directement- ce qui est impossible étant donné que ces dernières ne survivent que quelques jours en dehors de l’organisme. Les chercheurs semblent ici avoir résolu ce problème en utilisant, à l’instar d’autres équipes, des mini reconstitutions d’organes sur puce, en l’occurrence de foies, qui peuvent survivre plus d’un mois. L’équipe du Pr Nahmias travaille sur le foie car c’est l’organe principal responsable du métabolisme des substances étrangères qui parviennent à l’organisme, et il joue un rôle central dans l’évacuation et les effets secondaires de ces substances.

Ces micro-foies sur puce reçoivent une perfusion permanente de milieu nutritif, dans laquelle les chercheurs peuvent ajouter les substances à tester. La différence ici, par rapport aux autres expériences in vitro ou aux expériences sur des animaux, est que la perfusion en substance étrangère à tester est contrôlée et permanente : les cellules sont exposées à une dose fixe pendant une période précise.

Illust: Bioréacteur (adapté, 164.2 ko, 816x413
Bioréacteur (adapté de S. Pril et al., (1))
Bioréacteur (adapté de S. Pril et al., (1))

Comment faire des tests sur puce ?

Cependant ces chercheurs ne sont pas les seuls à avoir réussi à créer des organes sur puce. Une équipe de l’Institut Wyss à Harvard avait par exemple mis au point un poumon sur puce.

La nouveauté ici est que les chercheurs ont eu l’idée d’ajouter à leur système des capteurs : "Nous nous sommes rendus compte que puisque nous construisons les organes nous-même, nous ne sommes pas limités à la biologie, et nous pouvons introduire des capteurs optiques et électroniques dans le tissu lui-même", explique le Pr Nahmias.

La présence de ces capteurs permet aux chercheurs de détecter des réactions cellulaires très fines que personne n’avait vues jusqu’alors. Par exemple, les chercheurs se sont servis de sondes fluorescentes sensibles au taux d’oxygène présent dans l’environnement. Ces sondes ont été introduites dans la culture cellulaire et permettent de mesurer la consommation d’oxygène par les cellules. La consommation d’oxygène reflète l’activité métabolique des cellules et est donc un paramètre important à évaluer : si la consommation d’oxygène chute cela signifie que le métabolisme cellulaire a été altéré par la substance testée. Ces études permettent déjà de mieux comprendre les effets de surdose de certains médicaments comme le paracétamol.

Pour conclure, il est indéniable que le nouveau domaine des organes sur puce ouvre des possibilités inédites en permettant d’étudier de façon précise et contrôlée le comportement de cellules spécialisées de l’organisme. Ces systèmes permettent de recréer des conditions très proches de celles régnant à l’intérieur des tissus et d’étudier en direct la réaction des cellules à des molécules exogènes. Cependant ce domaine est tout nouveau et il est évident que les systèmes actuels sont incapables de reproduire la complexité des organes réels. L’expérimentation animale, qui permet d’étudier des effets physiologiques globaux, demeure à l’heure actuelle indispensable et il est permis de douter qu’elle disparaisse un jour. En effet, comment étudier le vivant sans étudier des organismes complets ? Cette considération ne diminue en rien l’émerveillement que les récentes avancées ne peuvent manquer de susciter, et il est possible qu’avec le temps et l’amélioration de la technique certains tests soient un par un transférés du règne animal vers celui des puces.

Sources :

  • (1) Real‑time monitoring of oxygen uptake in hepatic bioreactor shows CYP450‑independent mitochondrial toxicity of acetaminophen and amiodarone
    S. Pril et al., Archives of Toxicology 4 juin 2015.
  • (2) Microfluidic organs-on-chips Sangeeta N Bhatia & Donald E Ingber, Nature Biotechnology 5 août 2014, vol 32 numéro 8, pp 760–772.

Rédactrice : Tirtsa Toledano