Brest-Xiamen : une collaboration qui explore la biodiversité de l’extrême

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Chine

Brève
Chine | Biologie : médecine, santé, pharmacie, biotechnologie
2 décembre 2015

Le Laboratoire de microbiologie des environnements extrêmes (LM2E) de Brest et le Key laboratory of marine biogenetic resources (KLAMBR) de Xiamen (Fujian, Chine du Sud) collaborent depuis 2007 pour isoler et identifier de nouveaux microorganismes marins vivants dans des conditions extrêmes.

« C’est une coopération très fructueuse se félicite Mohamed Jebbar, directeur adjoint du LM2E. Notre travail conjoint a déjà conduit à la découverte de quatre nouvelles espèces et deux nouveaux genres d’extrémophiles. » Ces organismes, adaptés à des conditions environnementales hors nomes – obscurité, pression et température très élevées, présence de métaux lourds, milieu pauvre en nutriments… - sont unicellulaires procaryote, autrement dit des êtres vivants composés d’une unique cellule dépourvue de noyau et d’organites. Ils appartiennent aux règnes des archées et des bactéries. Si archées et bactéries se ressemblent quant à leur morphologie et leur métabolisme, elles diffèrent notamment du point de vue de leur biochimie et de leur génétique. Chez les archées par exemple, certains mécanismes comme la réplication de l’ADN, la transcription de l’ADN en ARN, la traduction de l’ARN en protéines ou encore le maintien du génome, sont plus proches de ceux que l’on retrouve dans les cellules eucaryotes (dotées d’un noyau) que chez les bactéries. En étudiant les extrémophiles, les scientifiques cherchent à comprendre les mécanismes qui permettent à ces microorganismes de se développer dans des conditions qui sont considérées comme létales pour tous les autres êtres vivants.

Une découverte majeure

Les équipes de Brest et de Xiamen s’intéressent aux extrémophiles sous-marins qui vivent à proximité de sources hydrothermales qui se forment au niveau des dorsales océaniques. « De toutes nos découvertes, Pyrococcus yayanosii est celle qui a eu le plus gros retentissement au sein de la communauté scientifique » explique Mohamed Jebbar. Isolée à partir d’échantillons hydrothermaux de la dorsale médio-atlantique prélevés en 2007 à 4 100 mètres de profondeur, Pyrococcus yayanosii est une archée hyperthermophile (sa température optimale de développement est de 98°C) qui détient à ce jour le record de croissance sous pression (jusqu’à 150 MPa, soit 1 500 fois la pression atmosphérique). Elle ne peut survivre qu’à des pressions supérieures à 20 MPa ; on l’appelle pour cela « piézophile obligatoire ». Son isolement et sa caractérisation ont été accomplis dans le cadre de la thèse de Mme ZENG Xiang, réalisée en cotutelle entre les deux laboratoires. Entre 2007 et aujourd’hui, d’autres microorganismes issus de roche et de sédiments hydrothermaux prélevés dans les océans Pacifique et Atlantique ont été découverts par les équipes franco-chinoises. « Toute nouvelle souche de bactérie ou d’archée vient compléter la branche procaryote de l’arbre phylogénétique poursuit le chercheur Mohamed Jebbar. Les nouvelles espèces et les nouveaux genres identifiés donnent souvent lieu à des réorganisations. »

L’approche culturale

Pour se procurer des échantillons de roches et de sédiments hydrothermaux, les chercheurs participent à des campagnes océanographiques. D’un site hydrothermal à l’autre, la composition des écosystèmes peut considérablement varier. Les campagnes océanographiques françaises ont jusqu’à présent permis d’explorer certaines portions des dorsales des océans Pacifique et Atlantique. Mais jamais celle de l’océan Indien, pour lequel la France ne bénéficie pas de permis d’exploration, contrairement à la Chine. Pour Mohamed Jebbar, « la collaboration avec l’équipe du professeur Shao de Xiamen assure l’accès à des échantillons très prometteurs ».

Prélevés à des profondeurs comprises entre 1 000 et 4 500 mètres, les échantillons de sédiments remontés à la surface doivent être conservés dans des conditions stériles, sans oxygène, à haute pression et basse température à bord du navire. Arrivés au laboratoire, les échantillons sont placés plusieurs jours dans un incubateur, à haute pression et haute température, pour favoriser le développement des populations extrémophiles. Si les chercheurs détectent des populations inconnues, ils les isolent et les placent sur un milieu de culture. Afin de les décrire et de les identifier, les chercheurs opèrent un certain nombre de tests : observation au microscope (morphologie), incubation dans différents milieux et conditions de pression et de température (métabolisme et physiologie), séquençage d’ADN et d’ARN (génétique) dont les résultats sont confrontés à ceux obtenus avec d’autres microorganismes connus. L’une des particularités du laboratoire breton réside dans son expertise de l’approche culturale, qui nécessite de recréer les conditions naturelles en laboratoire. « Peu de laboratoires dans le monde travaillent de cette manière, car la culture représente un travail fastidieux raconte Mohamed Jebbar. La plupart du temps, les chercheurs privilégient l’approche moléculaire, assez puissante aujourd’hui pour identifier les marqueurs génétiques permettant de classer le nouveau microorganisme dans l’arbre du vivant. » Mais une analyse moléculaire à elle seule ne renseigne ni sur la physiologie ni sur le métabolisme des organismes étudiés, et de ce fait ne permet pas de déterminer leur rôle écologique au sein d’un écosystème.

Au LM2E comme au KLAMBR, les nouvelles cultures obtenues sont entreposées et conservées au sein de souchothèques, des collections de microorganismes cultivés. Une fois les nouvelles espèces caractérisées, à la fois d’un point de vue physiologique et phylogénétique, les chercheurs s’adonnent à l’analyse de leur génomes et de leur transcriptome (ensemble des ARN exprimés à un moment donné) afin d’identifier à l’échelle moléculaire les mécanismes qui leurs permettent de s’adapter aux conditions extrêmes.

Après avoir bénéficié de Xu Guangqi et Cai Yuanpei, les programmes de mobilité Hubert Curien mis en place par l’ambassade de France en Chine, les deux laboratoires ont récemment soumis un projet de Laboratoire international associé (LIA) qui impliquera de nouveaux chercheurs et élargira le champ des recherches, notamment vers la recherche de molécules d’intérêt biotechnologique.

Rédacteur

Dora Courbon-Tavcar  : dora.courbon-tavcar[a]diplomatie.gouv.fr