Syrie - Conférence de Genève II (Montreux, 22 janvier 2014)

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Point de presse de Laurent Fabius à l’issue de la conférence de Montreux

Mesdames et Messieurs,

La première journée de cette conférence de Genève s’achemine vers sa fin et je pense qu’il est possible d’en tirer quelques leçons.

L’objet de cette conférence de Genève, comme indiqué dans la lettre d’invitation du Secrétaire général des Nations Unies, est de construire par consentement mutuel entre les parties un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs.

Tous les intervenants se sont inscrits dans cette perspective, à l’exception, il faut le noter, du représentant de M. Bachar el-Assad, qui s’est livré lui à des élucubrations à la fois longues et agressives, contrastant d’ailleurs singulièrement avec la position responsable et démocratique du Président de la Coalition nationale syrienne.

La France, par ma voix, a plaidé pour la paix. La paix par la constitution de ce gouvernement de transition, la paix par un cessez le feu immédiat et des mesures humanitaires.

La position que nous avons prise est juste et elle sera donc maintenue.

A l’issue de cette journée, la question sera certainement posée : que faut-il penser ? Y a-t-il un espoir ? L’espoir existe mais il est fragile. Nous devons donc continuer car, tout le monde ou presque l’a répété, la solution à l’épouvantable conflit syrien est politique et elle exige donc la poursuite des discussions.

Telle sera la position de la France.

[Question inaudible]

Non, vous ne devez pas tirer cela de mes propos. La réunion de la conférence elle-même était déjà très difficile à obtenir. D’abord parce qu’il s’agit d’un conflit très long, très dur. Ensuite parce que depuis la conférence de Genève 1, un très long délai s’est écoulé, ce qui montrait la difficulté de cette réunion, mais aussi parce que les positions sont très antagonistes. Mais le fait que la conférence se tienne, il faut saluer le Secrétaire général des Nations Unies, le fait que la conférence se tienne est un signe positif.

Alors évidemment, quand on entend l’envoyé de M. Bachar el-Assad, dont le ton était radicalement différent, vous l’avez probablement entendu, de tous les autres, on se dit que ce sera difficile. Mais il n’y a pas d’autre solution que politique. Et donc la position de la France, et de beaucoup d’autres avec nous, est d’être aux côtés de la poursuite des discussions.

[Question inaudible]

Merci. Si je comprends votre question, la solution est évidemment politique. Disant cela, je reflète le point de vue de presque tous mes collègues. Nous considérons qu’il ne faut pas rechercher la solution par des moyens militaires, qui signifieraient l’élimination des uns ou des autres, mais par des moyens politiques. Et des moyens politiques, ça veut dire la discussion et donc la négociation.

Maintenant, en ce qui concerne le terrorisme, je crois que certains, et je ne vise pas du tout Serguei Lavrov, mais certains ont joué dangereusement sur les mots.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Au moment où la conférence de Genève 1 s’est tenue, j’y étais, c’est même moi qui tenait la plume, il n’y avait pas de terroristes en Syrie. Il y avait d’un côté le gouvernement de M. Bachar el-Assad, qui était dans une position très fragile, et de l’autre la population. Et puis l’occasion malheureusement n’a pas été saisie, alors que la France poussait dans ce sens, et nous sommes plusieurs mois plus tard, et maintenant il y a effectivement d’un côté M. Bachar el-Assad et son régime de mort, de l’autre des terroristes qu’il faut combattre, et au milieu, si je puis dire, l’opposition modérée que nous soutenons.

Alors certains font une présentation erronée en disant : « Tous ceux qui sont contre Bachar el-Assad sont des terroristes » mais c’est faux, et mon collègue turc a dit avec beaucoup de force : « Est-ce que les millions d’enfants ou de femmes qui ont été expulsés sont des terroristes ? Non. Est-ce que tous ceux qui combattent le régime sont des terroristes ? Non ».

Et j’irai même plus loin. Je crois qu’il y a une alliance objective entre M. Bachar el-Assad et les terroristes. Une alliance objective, pourquoi ? C’est le revers et l’avers d’une même médaille.

Quel est l’argument de M. Bachar el-Assad ? Il dit « Moi, j’ai peut-être des défauts, quoique dans la bouche de son représentant il n’est responsable de rien, mais vous devez me soutenir parce que sinon ce seront les extrémistes, les terroristes ». Les terroristes, les extrémistes disent « Si vous êtes contre Bachar el-Assad, il faut nous soutenir ». La réalité, c’est qu’il ne faut soutenir ni les uns, ni les autres. Il faut soutenir ceux qui sont raisonnables, ceux qui sont démocratiques, ceux qui veulent une Syrie libre, qui assurent le respect des droits de la personne et le respect des communautés et une Syrie unie. Ceux-là se retrouvent, malgré les difficultés, autour de ce que nous appelons l’opposition modérée, la Coalition nationale syrienne.

Et donc il faut faire cette analyse fine, combattre les vrais terroristes, ne pas accepter le régime de M. Bachar el-Assad mais soutenir donc ceux qui veulent une solution qui soit un gouvernement de transition.

Question : Est-ce que dans ce contexte de dialogue de sourds, la réunion de vendredi va avoir lieu et est-ce qu’elle a un sens ?

Dialogue de sourds ? Non. Tout le monde entendait sauf une délégation. Ce n’est pas parce qu’une délégation était à la fois sourde et aveugle que les autres, qui représentent l’ensemble de la communauté internationale, ont été atteintes de la même surdité et du même aveuglement. C’est vrai que c’était impressionnant, le contraste entre d’un côté, et quelle que soit la diversité des points de vue des collègues qui ont à la fois respecté l’ordre du jour, respecté leur temps de parole, respecté une approche démocratique, et un représentant, une délégation, qui s’estimait en dehors de toute responsabilité et qui procédait à ce que j’ai appelé des élucubrations, ce qui n’est pas un compliment dans ma bouche, avec deux caractéristiques supplémentaires : c’est qu’elles étaient agressives et qu’elles étaient longues. Et donc je souhaite que la surdité et l’aveuglement ne soient pas communicatifs.

Pour le reste, la situation est très difficile. Personne ne pouvait s’attendre à ce que la séance de ce matin et de cet après-midi soient un lit de roses et donc nous devons, malgré tout et malgré les pièges qui sont tendus, continuer, nous qui sommes pour la paix, pour une solution politique, à plaider dans ce sens.

Par ailleurs, j’ai eu l’occasion de rencontrer plus particulièrement un certain nombre de mes collègues : mon collègue chinois, mon collègue algérien, mon collègue indien, j’ai aussi rencontré la mission des femmes syriennes, qui s’implique avec beaucoup de courage dans la solution de ce conflit, et c’est tout cela, quelle que soit la diversité de leurs positions, j’entends une demande de solution pacifique et politique. C’est aussi la position de la France

Merci beaucoup.

Image Diaporama - Syrie - Conférence de Genève II à Montreux (...)

Syrie - Conférence de Genève II à Montreux (Photo : Fabrice Coffrini/AFP)

Image Diaporama - Syrie - Conférence de Genève II à Montreux (...)

Syrie - Conférence de Genève II à Montreux (Photo : Philippe Desmazes/AFP)

Conférence de Genève II - Intervention de Laurent Fabius

Monsieur le Secrétaire général des Nations Unies, Monsieur le Président de la Confédération helvétique,

Mesdames et Messieurs,

Dans le drame syrien, la solution ne peut être que politique. L’objet de cette conférence dite de Genève 2 est politique et il est clair. Il est défini par la lettre d’invitation de M. Ban Ki Moon, que je félicite pour sa détermination. Je le cite :

« Face aux effroyables souffrances en Syrie, notre mandat est de parvenir de toute urgence à un règlement négocié, un règlement politique qui mettra intégralement en œuvre le communiqué de Genève 1, à commencer par un accord sur une autorité de transition dotée des pleins pouvoirs exécutifs, formée sur la base du consentement mutuel ».

Les choses, du moins sur le papier, sont donc claires. Il s’agit, non pas de conduire une discussion générale sur la Syrie, non pas de lancer des injures ou des slogans de propagande, pas non plus d’une façon de gagner du temps ou de prononcer des discours répétant le mot « terrorisme » sans en analyser les vraies causes, donc les vrais moyens de le combattre. Il s’agit de rechercher un accord politique pour la Syrie concernant cette autorité de transition dotée des pleins pouvoirs exécutifs.

Et pour qu’il n’y ait aucune ambigüité possible, le Secrétaire Général des Nations Unies précise que « la participation sera considérée comme une adhésion aux objectifs de la conférence tels qu’ils sont énoncés ci-dessus ».

La France est en plein accord avec ces objectifs, rappelés par une résolution unanime du Conseil de Sécurité, qui ne constituent pas, contrairement à ce que certains prétendent, des « préconditions ». L’ordre du jour d’une conférence n’est nullement une précondition ; c’est le mandat donné par les Nations Unies et qui donc s’impose à tous.

Dès lors, nous devrons être très vigilants pour que cet ordre du jour soit respecté, pour que les faux-semblants et les manœuvres dilatoires éventuelles soient évités et qu’on avance sous la médiation du Représentant spécial conjoint Lakhdar Brahimiautant qu’il sera possible vers la recherche de la paix.

* *

Est-ce à dire que cette recherche sera facile ? Certainement pas. Il suffit d’entendre tels des premiers discours de ce matin. Tout conflit de cette nature et de cette violence est très compliqué à éteindre. Il a fallu un an et demi avant que cette réunion ne se tienne. Les affrontements sanglants en Syrie et dans toute la région, l’horreur des exactions montrée encore hier – nous n’oublions pas le massacre chimique commis à Damas par Bashar Al-Assad qui quelques jours avant jurait ne pas détenir ce type d’armement -, le recours à des crimes de masse, les famines organisées, tout cela et bien d’autres monstruosités ne peuvent pas être oubliées. Le régime porte une responsabilité écrasante dans cette situation et, du même coup, dans la montée d’un terrorisme criminel, qu’il prétend combattre mais qui est en réalité objectivement son allié. La Coalition Nationale Syrienne agit courageusement contre l’un et contre l’autre, et nous la soutenons pleinement.

Parce que cette situation terrible existe, qu’elle tue chaque mois des centaines, des milliers de femmes, d’enfants, d’hommes innocents, nous demandons dès l’entrée de cette conférence que, de toute urgence, un ou des cessez-le-feu soient pratiqués, des couloirs humanitaires ouverts, des vivres et des médicaments apportés aux survivants. Ces mesures, ponctuelles sans doute, mais indispensables, doivent aider non seulement les populations qui souffrent mais le déroulement de cette conférence.

**

Car nous sommes là, dans ce confortable hôtel, au moment où sur le terrain des gens souffrent, meurent et des combattants s’entretuent. S’il est vrai que chaque homme porte en lui une part de la condition humaine, alors la France, puissance de paix, demande aux belligérants, et singulièrement au régime, de procéder d’urgence à ces mesures concrètes dites de confiance. Ceux qui ne le feraient pas ajouteraient de l’inhumanité à leur inhumanité.

Mesdames et messieurs,

La France, nation indépendante, membre permanent du Conseil de sécurité, amie traditionnelle des peuples syrien, jordanien, libanais, et de tous les peuples de la région, revendique d’être là pour essayer de faire progresser la cause de la paix. Nous n’avons pas d’agenda caché. Nous n’avons pas d’autre intérêt à défendre que celui de la réconciliation, d’une Syrie enfin unie, démocratique, respectueuse des droits de la personne humaine et des diverses communautés, d’une Syrie indépendante. Sans combattants étrangers sur son sol. Et sans criminel de masse à sa tête.

Tel est le double vœu que je formule aux côtés de la Coalition nationale syrienne pour cette conférence et pour ses participants :

  • Mener à bien l’ordre du jour de la conférence tel qu’il a été défini ;
  • engager sans tarder des mesures de confiance positives pour la population syrienne.

Tout cela pour avancer vers la paix.

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